
(...) « Mardi 15h, on arrête tout ! ». Ici en 2017, c’est « dimanche matin on met le frein ». Les axes routiers qui innervent la monstrueuse capitale et la déchargent chaque soir d’un bon paquet de ses migrants pendulaires se sont vus ponctuellement entravés ces deux dernières semaines. Par des automobilistes qui peuvent encore rouler mais pas pour très longtemps, des salariés qui sentent venir l’inflation et la chute du salaire minimum, par des taxis dont l’essence est le métier et le gasolinazo le chômage. Mercredi 4 au soir, les événements se soldent dans la capitale par 16 blocages de stations-service et 11 blocages de routes. (...)
Le groupe « Somos Más » (« Nous sommes plus »), principal bloqueur de 14 stations-essence de la capitale ce mardi-là, avait annoncé une journée de volanteo pour le lendemain, destinée à informer des raisons de son opposition au gasolinazo. Malheureusement, le volanteo ne consiste pas à donner sans prévenir de violents coups de volant pour semer la panique sur la route et parvenir à la bloquer à peu de frais en signe de protestation. Non : cette pratique n’est que l’équivalent du banal tractage français, car le volante n’est pas ici un gouvernail mais une petite feuille imprimée. Bloquer au Mexique en ce début janvier est une action proprement symbolique. C’est bloquer les routes et les stations-service pour dire non au gasolinazo, et même un peu au-delà, déjà non à ce gouvernement. Peut-être ces initiatives se destinent-t-elle à prendre une tournure stratégique ; nous ne le savons pas encore. L’année, certes, ne fait que commencer.
Et piller ? Qu’on se le dise, et on se le dit, les seuls voleurs abandonnés par toute justification, ceux qui sont encore sur le plan moral pour y perdre et sur la scène politique pour en descendre, les grands larrons du Mexique ne cavalent pas entre les rayons chamboulés des grands supermarchés. Un internaute se filme, accusateur, et débite leurs noms : « Peña Nieto et les 42 voleurs » [2]. (...)
Certainement les pillards, pas plus que les bloqueurs, n’agissent mus par une stratégie commune. Sans doute on court faire main basse sur un téléviseur 39 pouces pour s’abrutir en grand tous les soirs après le boulot. Mais on pille aussi la pomme de discorde comme lorsque le mardi 3, dans une petite ville à une heure au nord de Mexico, des habitants se sont emparés d’un camion-citerne et en ont réparti gratuitement le contenu ; action dupliquée les jours suivants aux quatre coins du pays. Jeudi après-midi, en signe de protestation, les usagers du métro se passent de ticket à la station Insurgentes, l’une des plus fréquentées de la ville (la foule faite quai). Sans compter les autres, tous les autres accaparements : les cadeaux de Noël inespérés, le confort ou le petit luxe à la portée de celui qui n’y croit plus, s’il court assez vite. (...)
Depuis le week-end du 7, les slogans récurrents des manifestations excèdent largement le rejet du gasolinazo. Il s’agit désormais d’en appeler à une prise de conscience et à une action collectives (#Únete). Injonctions non sans ambiguïtés. Une partie des manifestants – et, plus généralement, de la population mexicaine –, voit les saqueadores (« saccageurs ») comme des voleurs vandales ne faisant pas partie du peuple, autrement dit, comme des débordements violents susceptibles de décrédibiliser le mouvement. Circule en outre la classique hypothèse des agitateurs jaunes, des casseurs de la police, des embusqués du gouvernement. On lit ainsi une mise en garde publiée sur internet, selon laquelle les assauts et vols massifs seraient en réalité l’œuvre d’équipes de choc de l’État mexicain. Il y a aussi ceux qui commencent à dire que « nous sommes tous des casseurs » : les messieurs en costard un peu miteux qui emportent un écran plasma pour chez eux ; les kékés qui en prennent deux, un sous chaque bras, un pour la famille, un pour la novia ; les parents qui se rattrapent en profitant de la razzia pour gâter les gosses. C’était moins une : au Mexique comme en Espagne, ce n’est ni le tout frais Jésus ni le Bon Papa Coca-Cola qui régalent. C’est l’affaire des Trois Rois Mages (Oxxo, Walmart et Chedraui) qui, ayant pillé ce qu’il faut en chemin, débarquent, gasolinazo aidant, les bras chargés le 6 janvier. (...)
Si la route n’avait été barrée par la police anti-émeutes, une branche de manifestants du samedi 7 et du lundi 9 aurait pris le chemin du palais présidentiel de Los Pinos. Ce n’est pas seulement le « Fuera Peña » qui retentit, mais aussi l’écho du 2001 argentin : « ¡Que se vayan todos ! ». Le même samedi commencent à circuler des appels à prendre d’assaut la Chambre des députés, « contre le gasolinazo et toutes les réformes de Peña Nieto ».
L’un des cortèges du 7 est mené par le père Alejandro Solalinde [3]. Celui-ci s’avère partisan de l’hypothèse des saqueadores à gages, qui selon lui ne sont que les maillons d’une stratégie déjà rodée du PRI [4]. Au cours du meeting qu’il tient suite à la manifestation, de même que dans les entretiens accordés à la presse ces derniers jours, Solalinde défend la voie d’une « résistance civile pacifique », sans écarter la possibilité de la désobéissance civile [5]. Pas de manif sauvage, donc, pas cette fois-ci ; mais un appel à l’auto-organisation de la population mexicaine. (...)
est décidée la tenue de quatre rassemblements simultanés le dimanche suivant (15 janvier) dans la capitale, en vue de préparer les actions à venir et notamment la grève générale reconductible qui pourrait se transformer en boycott des multinationales implantées dans le pays. Pendant ce temps-là, les saqueos continuent dans les États de Hidalgo, Veracruz, Tabasco, Chiapas et San Luis Potosí, tandis qu’ils commencent dans le Puebla, le Guerrero et le Nuevo León. Au Chiapas, ils se doublent d’actions de soutien aux migrants centro-américains sans-papiers. Ainsi, dans la ville de Huehuetán, le poste migratoire est brûlé et plusieurs indocumentados (sans-papiers) libérés. (...)
Les échauffourées entre policiers et manifestants se soldent au cours de la première semaine par cinq morts (quatre civils, un policier) suite aux affrontements entre police et habitants. À la fin de la journée de blocus et de manifestations de lundi dernier, on compte 392 détentions, 15 blessés au cours des affrontements avec les forces de l’ordre, et la suspension de quatre agents de police. Des pertes économiques significatives sont enregistrées dans sept États suite aux saqueos. Au total, depuis le début de l’année, 380 magasins ont été mis en libre-service pendant quelques heures chacun.
Positions
Une vidéo ajoutée sur youtube le dimanche 8 par un canal dénommé « Narco Historias » compte plus de 960 000 vues une semaine plus tard. (...)