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Reporterre
Les élevages de visons sont-ils la source du Covid en Europe ?
Article mis en ligne le 21 décembre 2020

Des analyses génétiques révèlent que les deux lignées du Sars-CoV-2 à l’origine des deux vagues épidémiques qui ont ravagé l’Europe sont nées tout près, voire au cœur, d’élevages intensifs de visons. Elles suscitent des questions vertigineuses sur l’histoire de la pandémie, et soulignent l’incompréhensible passivité des autorités sanitaires et vétérinaires. (...)

une trentaine de millions en Europe, concentrés dans quelques 2.750 élevages intensifs consacrés à la production de fourrure. Des élevages où règne une promiscuité phénoménale : les minuscules cages grillagées des animaux s’empilent en d’interminables alignements, la nourriture comme les déjections des animaux coulent d’une cage à l’autre, à travers les grillages.

Seize millions de visons abattus au Danemark

(...) le taux de contamination des travailleurs du vison atteint 68 %, a révélé la publication des chercheurs. Un chiffre extraordinairement élevé ! (...)

les visons ont un taux de mortalité très faible, et des symptômes souvent imperceptibles. 47 % des élevages infectés se sont avérés asymptomatiques. En revanche, la maladie est partout : plus de 90 % des animaux échantillonnés avaient été infectés par le Covid (...)

Plus grave encore, l’observation suggère qu’il existe « un taux d’évolution plus rapide du virus chez les visons », ont noté les chercheurs. Le taux de mutation augmente lorsqu’un virus change d’espèce, car il "s’efforce de s’adapter" à la nouvelle espèce. Autrement dit, des mutations plus fréquentes. (...)

Effrayées, les autorités hollandaises ont décidé, début novembre, d’abattre la totalité de leurs élevages. Le Danemark voisin, premier producteur européen, était touché dès le mois de mai. Le gouvernement a tenté de limiter les pertes en abattant, à partir de la mi-juin, les élevages infectés. Ce n’est que le 5 novembre que ce pays s’est résolu à un abattage généralisé, après avoir appris qu’une nouvelle lignée du virus, dite Clade 5, détectée chez douze personnes — mais seule une faible proportion de la population a été testée —, pourrait théoriquement menacer l’humanité d’une aggravation de la pandémie.
Les Sars-CoV-2 du Clade 5 présentent en effet cinq mutations, ce qui témoigne déjà d’une divergence non négligeable avec le virus habituel. Surtout, mis en présence d’anticorps humains issus de patients guéris du Covid, les virus du Clade 5 semblent mieux résister. Cela suggère une forme de maladie plus grave, voire offrant moins de prise aux vaccins !
(...)

le changement d’espèce, le stress extrême, les blessures, l’entassement, la proximité génétique, le passage constant entre les cages de fluides et d’aliments impliquent une circulation virale bien bien plus explosive que celle qui s’observe dans les populations humaines. Les virus se propagent et se multiplient en un brasier microbien qui accroît mécaniquement le risque de mutation. (...)

L’affolement des autorités était tel que l’enfouissement a été catastrophiquement mal exécuté. La fermentation déterre même littéralement les corps, comme on l’a appris le 27 novembre, et les fluides de décomposition menacent les nappes phréatiques.
À l’heure où nous écrivons, le Clade 5 semble avoir été éteint par la vigoureuse réaction danoise. Mais le rôle du vison dans l’épidémie de Covid ne s’arrête pas à cet épisode dramatique.

En Espagne, les visons malades ont-ils infecté les humains ?

Deux autres lignées européennes du Sars-CoV-2 ont en effet beaucoup attiré l’attention des scientifiques, et méritent que l’on s’y arrête plus en détail.
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Le 7 juillet, donc un mois entier après la détection du premier cas, sur un nouvel échantillon de quatre-vingt-dix visons, il y avait soixante-dix-huit positifs (soit 86 %). L’ordre était alors enfin donné d’abattre les 92.700 visons et de détruire leurs cadavres dans une usine de déchets MRS (matériel à risque spécifique). (...)

l’exemple hollandais avait déjà montré que les éleveurs malades contaminent facilement leurs visons et qu’en retour, ceux-ci peuvent contaminer d’autres humains. La ferme a donc été mise à l’isolement, suscitant d’autant plus d’inquiétude que la bourgade voisine n’est qu’à six kilomètres. (...)

En l’absence de preuve formelle, il y a en tout cas de solides raisons de penser que cette lignée nouvelle, qui a ensuite fortement contribué à la « deuxième vague » européenne, est issue, comme plusieurs autres observées au Danemark, d’un élevage de vison. Sa particularité est qu’elle a connu un succès évolutif spectaculaire. (...)

Le passage par le vison pourrait donc avoir généré un virus d’une transmissibilité accrue. Une chose est en tous cas certaine : à la date de l’abattage (le 17 juillet), la province pourtant rurale d’Aragon était celle où l’épidémie humaine de coronavirus était – et de très loin – la plus élevée du pays. À la fois pour le nombre de tests positifs recensés et pour celui des admissions hospitalières.

Les élevages de visons à l’origine de la première vague européenne ?

Ce n’est pas tout. Par-delà la crise danoise et le cas espagnol, les élevages de visons encourent encore un autre soupçon : celui d’avoir donné naissance à la première vague européenne, celle qui a pris naissance en Lombardie (Italie).
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La question clé est : ce bouillon de culture de visons malades a-t-il infecté des humains ?

(...) L’Italie a été le premier foyer infectieux d’Europe- et particulièrement la région d’élevage de visons

fait troublant, il reste moins de dix élevages de visons en Italie… et cinq sont en Lombardie. La situation de ces élevages lombards accrédite leur rôle potentiel dans l’embrasement épidémique (...)

Giovanni Boccu exporte 72 % de sa production, dont la moitié dans la zone asiatique. Ses contacts avec la Chine sont réguliers, sa réputation n’étant plus à faire dans l’Empire du Milieu. Se peut-il qu’un virus introduit de Chine se soit propagé dans sa ferme, ait gagné les fermes alentour, leurs travailleurs, puis se soit répandu dans la population ?
Théoriquement, c’est parfaitement possible (...)

Quoiqu’il en soit le variant D614G qui s’est propagé dans toute l’Europe, notamment en France à l’occasion de ce qu’on a appelé la première vague, et qui a même totalement supplanté la souche originelle venue d’Asie, peut donc très bien être sorti d’un élevage de visons lombard — même s’il peut aussi être apparu chez un humain. En tout cas, comme le souligne la prestigieuse revue Cell, pour s’être imposé si fortement, ce variant confère probablement une contagiosité accrue… Comme c’était déjà le cas pour le variant 20A-EU1 espagnol.
Ainsi, la trace de deux variants européens majeurs, à la transmissibilité renforcée, se perd à proximité immédiate de grands élevages de visons. Or, les virologues savent bien que les expériences dites « de passage » en laboratoire, où l’on transmet le virus d’un animal à l’autre en succession rapide, tendent à accroître la contagiosité des virus. Cela a notamment été mis en évidence avec la grippe aviaire chez les furets…
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Une chose est sûre, c’est que les autorités à travers l’Europe ont tout fait pour éluder le problème et minimiser les risques. Le Danemark a attendu des mois avant de se résoudre à abattre ses visons, et n’a communiqué aucune séquence avant octobre, malgré la pandémie qui faisait rage.
En Italie, le LAV — la « ligue antivivisection », l’une des principales associations de protection animale — a bombardé les autorités, durant des mois, de demandes insistantes, puis lancé une pétition et enfin déposé une plainte. Elle a fini par obtenir début novembre l’information qu’une ferme infectée par le coronavirus avait été détectée au mois d’août, sans plus de précision. « Ce n’est qu’après l’extermination des visons danois qu’on nous a révélé le 12 novembre qu’il s’agissait de celle de Capralba », a indiqué à Reporterre le chargé de mission du LAV, Simone Pavesi, lui-même résident de Lodi.
À l’heure actuelle, les autorités italiennes continuent d’esquiver la portée de cet aveu et affirment que la quantité du prélèvement positif récolté en août n’est pas suffisante pour procéder à un séquençage, qui seul permettrait de savoir quelle lignée circulait chez les visons.
(...)

Reste enfin, et c’est la troisième et peut-être la plus grande interrogation concernant le vison, la question des élevages chinois. Avec 26 millions de visons, 13 millions de renards et 14 millions de chiens viverrins, la Chine produit plus de la moitié des fourrures du monde. Autant d’animaux dont la science a établi ces derniers mois qu’ils attrapent et transmettent le Sars-CoV-2. Or la Chine, connue pour son opacité, et sans doute soucieuse de protéger son industrie de la fourrure, a pour l’instant indiqué n’avoir effectué aucune recherche de l’origine du Sars-Cov-2 dans ces élevages, tandis qu’elle traîne les pieds pour accepter une mission indépendante de l’OMS, l’Organisation mondiale de la santé, sur le sujet.
En définitive, bien que les soupçons s’accumulent, le rôle exact du vison reste à déterminer précisément. Simple victime collatérale de la pandémie de Covid ? Accélérateur et propagateur actif ? Chaînon manquant entre la chauve-souris et l’humain ? Les scientifiques parviendront peut-être à le dire, si on les laisse travailler.
(...)

à l’ère des pandémies, l’existence d’élevages où des millions d’animaux au système respiratoire voisin du nôtre s’entassent dans des conditions sanitaires épouvantables est une bombe à désamorcer d’urgence.