
Robin Renucci et Joris Mathieu, au nom de l’Association des centres dramatiques nationaux, s’interrogent avec force, face au désengagement de l’État, sur une réelle prise en compte, en ces domaines, d’une politique digne de ce que l’on est en droit d’attendre d’une démocratie. Entretien.
La parution, dans « Le Monde » du 8 août, d’une tribune signée par des représentants de l’ensemble de ce que l’on nomme le spectacle vivant, attirait l’attention « sur le danger d’une politique qui entérine le fossé entre des territoires, des populations, morcelle notre pays, sape l’exception culturelle française et menace à terme la liberté de création ». (...)
En juillet, depuis le Festival d’Avignon, Olivier Py s’était livré à un amer constat en ce domaine. En janvier dernier, l’Appel de Montreuil, abondamment contresigné par des acteurs du monde culturel, artistes, techniciens, journalistes, professeurs, directeurs d’instances culturelles, maires de commune ou simples citoyens, souhaitait déjà « de nouveaux états généraux afin d’élaborer ensemble un pacte national des arts, des patrimoines et de la culture ». Ils dénonçaient la version gouvernementale de « réformes guidées par une vision comptable et une recherche illusoire de rentabilité ». Nous donnons aujourd’hui la parole à Robin Renucci (directeur des Tréteaux de France) et Joris Mathieu (directeur du Théâtre Nouvelle Génération), respectivement président et vice-président de l’Association des centres dramatiques. Ils répondent d’une seule voix dans cet entretien qui analyse sans merci une politique qui ne cesse « d’affaiblir les outils de la République ».(...)
Robin Renucci et Joris Mathieu Il s’agit avant tout d’une alerte que nous lançons avant une rentrée politique chargée qui sera marquée par la révision de la constitution et la mise en action de CAP 22. Il serait faux de considérer que nous sommes a priori hostiles à toute mutation et toute réforme. Au contraire, les acteurs culturels (lieux labellisés, compagnies indépendantes...) sont dans une dynamique constructive, réinventent au quotidien leurs usages et leurs relations avec les publics dans les territoires et désirent être concrètement accompagnés dans cette mutation. Mais nous sommes en attente de la formulation d’un réel projet de politique publique artistique. Aujourd’hui le seul projet lisible et audible est celui de la réforme des administrations centrales ou déconcentrées et des institutions de la République. Il n’est pas imaginable qu’une réforme d’une telle ampleur soit conduite sans définition d’une perspective autre que la réalisation d’économies. Il est sans doute possible d’améliorer la présence et l’efficience de l’État sur les territoires, mais encore faudrait-il définir, en matière culturelle, au service de quel projet cette réforme est-elle menée ? Nous ne voyons pas se dessiner le projet de la politique publique des arts qui serait rendue possible par les réformes que veut mener notre président. Ce qui inquiète particulièrement les acteurs culturels aujourd’hui, c’est le contexte dans lequel va se dérouler cette rentrée et ce chantier de réformes. Aujourd’hui, il n’y a pratiquement plus aucune direction des services au ministère de la culture. Tous les recrutements ont été gelés ou reportés. Il n’y a plus de direction générale de la Création artistique, plus de direction générale du patrimoine, plus de direction des services des musées, des services des archives et plus personne non plus à la réunion des musées nationaux. Cela en dit long et il y a de quoi s’inquiéter sur la manière dont va être menée la réforme des services de l’État dans ces conditions.
Nous voulons qu’à la rentrée, la question artistique et culturelle soit réellement prise en compte dans notre projet de société.
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La question de l’art et de la culture est complètement liée à la question d’ensemble du service public. Elle ne doit simplement pas être la grande absente de la réflexion politique. Si nous attribuons aujourd’hui la responsabilité de l’affaiblissement du service public du spectacle vivant à notre président, c’est parce que cette année notre ministre a été régulièrement attaquée par les différents acteurs des différents secteurs (l’audiovisuel, le livre, le spectacle vivant …), mais nous commençons désormais à considérer que son action est en réalité paralysée par un dysfonctionnement structurel. Alors que les effectifs des cabinets ministériels ont été réduits, que les directions de services sont vacantes, nous voyons en parallèle se multiplier des missions menées par des « experts » hors du giron du ministère, directement commandées par l’Elysée.(...)
Ce qui est choquant avec le Pass Culture, c’est que l’État en a fait le fer de lance de sa politique culturelle, alors que c’est une idée de pur marketing dont ni le contenu, ni le financement n’ont été pensé en amont. Derrière le Pass Culture, nous voyons surtout les effets pervers d’une promesse de campagne, dont le message « publicitaire » simple et direct était plus facile à concevoir et à communiquer que le développement d’un projet de fond.(...)
Les signataires de cette tribune sont les président(e)s et vice-président(e)s d’associations de lieux labellisés. Il s’agit donc là d’une parole portée par l’ensemble des structures adhérentes de nos labels. Ce n’est donc pas un combat en noms propres, ni d’ailleurs une saillie pour défendre des intérêts corporatistes et réclamer davantage de moyens. C’est une prise de parole libre, d’acteurs culturels du service public, et plus précisément de labels qui sont des centres de création. Cette alerte se veut complémentaire du travail syndical mené par le SYNDEAC. (...)
Ensemble, nous défendons l’idée d’une collaboration constructive avec notre ministre qui nous a donné des gages de sa bonne volonté pour faire émerger une conférence inter-ministérielle sur la place de l’art et de la création dans notre société. Ce travail est en cours. Il est unitaire. Cette tribune ne le remet pas en cause. Simplement, si nous travaillons désormais en bonne intelligence avec notre Ministre, il nous semble néanmoins nécessaire de pointer du doigt un contexte général qui nous semble aller à contre-sens de ce travail prometteur. (...)