
Selon le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, le Royaume-Uni et les États-Unis se sont concertés pour détruire publiquement le fondateur de WikiLeaks – et dissuader les autres de dénoncer leurs crimes.
(...) Les 18 chefs d’accusation retenus contre Assange aux États-Unis sont liés à la publication par WikiLeaks, en 2010, de documents officiels ayant fait l’objet de fuites, dont beaucoup montrent que les États-Unis et le Royaume-Uni sont responsables de crimes de guerre en Irak et en Afghanistan. Personne n’a été traduit en justice pour ces crimes.
Au lieu de cela, les États-Unis ont défini le journalisme d’Assange comme de l’espionnage – et, par voie de conséquence, ont affirmé leur droit de saisir tout journaliste dans le monde qui s’attaque à l’État de sécurité nationale américain – et les tribunaux britanniques ont donné leur bénédiction dans une série d’audiences d’extradition.
Les longues procédures contre Assange se sont déroulées dans des salles d’audience à l’accès très restreint et dans des circonstances qui ont empêché à plusieurs reprises les journalistes de couvrir correctement l’affaire.
Cependant, malgré les graves implications pour la liberté de la presse et la responsabilité démocratique, le sort d’Assange n’a suscité qu’un soupçon d’inquiétude dans la plupart des médias occidentaux. (...)
En tant que Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, Melzer s’est donné pour mission depuis 2019 d’examiner minutieusement non seulement le traitement d’Assange pendant ses 12 années de confinement croissant – supervisé par les tribunaux britanniques – mais aussi la mesure dans laquelle les procédures régulières et l’État de droit ont été respectés dans la poursuite du fondateur de WikiLeaks. (...)
Le rapporteur des Nations Unies affirme que le Royaume-Uni a investi beaucoup trop d’argent et d’énergie pour obtenir la poursuite d’Assange au nom des États-Unis, et qu’il a lui-même un besoin trop pressant de dissuader d’autres personnes de suivre la voie tracée par Assange pour dénoncer les crimes occidentaux, pour risquer de laisser Assange en liberté.
Au lieu de cela, il a participé à une vaste mascarade juridique visant à occulter la nature politique de l’incarcération d’Assange. Et ce faisant, il a systématiquement fait fi de l’État de droit.
Melzer estime que le cas d’Assange est si important parce qu’il crée un précédent de sape des libertés les plus fondamentales que le reste d’entre nous tient pour acquises. Il ouvre son livre par une citation d’Otto Gritschneder, un avocat allemand qui a observé de près la montée du nazisme : « Ceux qui dorment dans une démocratie se réveilleront dans une dictature. »
Dos au mur
Melzer a haussé le ton parce qu’il estime que, dans l’affaire Assange, tous les freins et contrepoids institutionnels résiduels sur le pouvoir de l’État, en particulier celui des États-Unis, ont été réduits à néant.
Il souligne que même l’éminent groupe de défense des droits humains Amnesty International a évité de qualifier Assange de « prisonnier d’opinion », bien qu’il réponde à tous les critères, le groupe craignant apparemment un retour de bâton de la part des bailleurs de fonds (p. 81).
Il note également qu’à l’exception du groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire, composé de professeurs de droit experts, les Nations Unies elles-mêmes ont largement ignoré les violations des droits d’Assange (p. 3). Cela s’explique en grande partie par le fait que même des États comme la Russie et la Chine hésitent à faire de la persécution politique d’Assange un bâton pour battre l’Occident – comme on aurait pu s’y attendre.
Selon Melzer, la raison en est que le modèle journalistique de WikiLeaks exige une plus grande responsabilité et une plus grande transparence de la part de tous les États. Avec l’abandon tardif d’Assange par l’Équateur, celui-ci semble être totalement à la merci de la principale superpuissance mondiale. (...)
Il pointe du doigt les risques liés au fait de s’exprimer – un prix qu’il a expérimenté de première main – qui ont empêché d’autres personnes de parler.
« Avec ma position intransigeante, j’ai mis en danger non seulement ma crédibilité, mais aussi ma carrière et, potentiellement, ma sécurité personnelle… Maintenant, je me suis soudainement retrouvé dos au mur, à défendre les droits humains et l’État de droit contre les démocraties mêmes que j’avais toujours considéré comme mes plus proches alliées dans la lutte contre la torture. Ce fut une courbe d’apprentissage abrupte et douloureuse » (p. 97).
Il ajoute avec regret : « J’étais devenu par inadvertance un dissident au sein même du système » (p. 269).
La subversion du droit (...)