
L’utilisation massive et systématique de pesticides de plus en plus toxiques accélère le développement de résistances chez les insectes cibles, et entraîne l’agriculture dans une impasse chimique qui détruit les écosystèmes et pourrait compromettre la sécurité alimentaire en Europe. Des solutions existent pour enrayer cette spirale infernale du tout-pesticide, mais les géants de l’industrie agrochimique sabotent systématiquement les initiatives dans ce sens : sans se soucier de l’avenir, ils sécurisent leurs profits…
(...) La nature résiste, et s’adapte, même au contact des molécules les plus toxiques. Elle s’abime bien sûr, s’appauvrit, se dépeuple… Mais les insectes, les champignons et les mauvaises herbes, que les pesticides sont censés détruire, finissent toujours par résister : une étude bibliographique récente, conduite par POLLINIS, montre que des mécanismes de résistance ultrasophistiqués s’activent dès les premières expositions aux produits toxiques pour sauvegarder l’espèce.
La spirale infernale du tout-pesticide
Depuis lors, l’industrie agrochimique n’a eu de cesse de chercher des produits toujours plus toxiques, pour faire face à des ravageurs toujours plus résistants : organophosphatés, carbamates, pyréthrinoïdes, benzoylurées, néonicotinoïdes, et tout récemment, sulfoxamines… Chaque nouvelle génération de pesticides est plus toxique que la précédente, pour lutter contre des bioagresseurs qui finissent toujours par s’adapter et par rendre le produit obsolète. Aujourd’hui déjà, plus de 500 espèces de ravageurs ne sont plus sensibles à un ou plusieurs types d’insecticides 1. (...)
Des initiatives pour éviter la crise alimentaire
Depuis une quarantaine d’années, des ingénieurs agronomes, des chercheurs, des agriculteurs et des techniciens ont tenté de repenser le système pour échapper à cette spirale inéluctable des pesticides. Ils ont mis au point un ensemble de principes et de pratiques agricoles qui permettent d’encourager les mécanismes de protection naturelle des cultures. La PIC, la Protection intégrée des cultures, préconise de n’utiliser de pesticide qu’en cas d’attaque constatée, en quantité minimale et proportionnée à la réalité de l’attaque, et en n’utilisant que des produits ciblés et non persistants. Un pas de géant vers une véritable agroécologie.
Ce pas, l’Union européenne était prête à le franchir : en 2009, consciente des risques réels du tout-pesticide, préconisait pour les États membres l’adoption des principes de la PIC (ou IPM pour Integrated Pest Management en anglais) d’ici à… 2014. Mais une récente étude pilotée par POLLINIS montre que les pays européens n’ont jusqu’ici pas joué le jeu…
En revanche, les tenants de l’agrochimie, et notamment les fabricants de néonicotinoïdes, sont parvenus à brouiller les pistes en sous-entendant que ces pesticides – les plus utilisés en Europe sur plus de 80% des grandes cultures – étaient compatibles avec la PIC. Une aberration : les néonics sont des pesticides systémiques – les molécules se propagent dans toute la plante au fur et à mesure de sa croissance – et sont vendus principalement sous forme de semences enrobées, ce qui oblige les agriculteurs à traiter de façon systématique, qu’il y ait ou non un risque d’attaque de ravageurs dans leurs champs. Une logique qui s’oppose foncièrement à celle de la PIC puisqu’elle recommande un usage des pesticides qu’en tout dernier recours.
Bras de fer avec les lobbies de l’agrochimie à Bruxelles
Pour alerter les instances européennes sur l’incompatibilité de la PIC avec les pesticides systémiques, POLLINIS a organisé une conférence en juillet dernier au sein du Parlement européen pendant laquelle les représentants de l’agrochimie, venus en force, ont martelé leur point de vue et accusé Bruxelles de leur mettre des bâtons dans les roues en rendant trop contraignants les processus de mise sur le marché de nouvelles molécules… (en savoir plus sur cette conférence). (...)
Le compte à rebours est enclenché : chaque année, l’industrie agrochimique nous entraîne un peu plus dans une voie sans issue. C’est pourquoi POLLINIS, les associations et les citoyens soucieux de l’environnement et de l’alimentation, devons nous opposer de toutes nos forces à ces lobbies, et pousser vers des alternatives agricoles respectueuses de la nature et des insectes auxiliaires dont elles dépendent afin de garantir la sécurité alimentaire en Europe.