
Toujours détenu en Grande-Bretagne et réclamé par les États-Unis, Julian Assange a de nombreux soutiens de par le monde. En France, des voix nombreuses réclament qu’on lui accorde l’asile. Mais quels sont ses liens avec notre pays ? Que nous a apporté WikiLeaks en matière d’informations ? « Gilets jaunes », anonymes, artistes, médias, organisations… qui soutient vraiment Julian Assange ? Entre opportunisme, retournements de veste et réels soutiens, l’affaire Julian Assange reflète l’état du monde politico-médiatique hexagonal devant la toute-puissance américaine.
(...) Le 3 juillet, Julian Assange a « fêté » ses 51 ans derrière les barreaux de la prison de haute sécurité de Belmarsh, à Londres. En France, ses soutiens se sont rassemblés le même jour place de la République, à Paris, à l’appel de quelques militants de sa cause appuyés par plusieurs organisations et syndicats dont la Ligue des droits de l’homme (LDH), la Fédération internationale des journalistes (FIJ), le Syndicat national des journalistes (SNJ), le SNJ-CGT, Anticor, Acrimed, Attac, les Mutins de Pangée et par des médias comme Là-bas si j’y suis, Blast ou encore Élucid. De ce rassemblement est né « l’appel de Paris pour Julian Assange » et un comité de soutien s’est constitué.
Côté politique, un seul député a fait le déplacement, Arnaud Le Gall pour la France insoumise, ainsi que Raphaëlle Primet, conseillère PCF de la Ville de Paris.
Parmi les personnalités politiques à soutenir le journaliste emprisonné, Jean-Luc Mélenchon ne cesse de promettre que s’il accède au pouvoir, « Julian Assange sera naturalisé français et décoré ». Impact de cette déclaration lors des dernières législatives : le célèbre lanceur d’alerte Edward Snowden a tweeté en français depuis son exil moscovite pour appeler indirectement à voter pour les insoumis… (...)
En février, Jean-Luc Mélenchon avait fait partie des députés à l’initiative d’un projet de résolution en vue d’accorder l’asile à Assange en France. Outre les insoumis François Ruffin, Michel Larive, Mathilde Panot ou encore Danièle Obono et Adrien Quatennens, ce projet transpartisan était également porté par les centristes Cédric Villani, Jean Lassalle et Jennifer De Temmerman [1]. Mais la majorité LREM-MoDem avait fait en sorte que la résolution ne soit pas votée. Et certains n’ont pas eu peur des contradictions, à l’image de Nicolas Turquois, député MoDem, pourtant signataire du texte, qui avait finalement expliqué que son groupe voterait contre « malgré l’idéal qu’il porte et le soutien indéfectible que nous devons à Monsieur Assange et à son combat ». Assange dont la situation constituait pourtant, selon le même député, « une atteinte insupportable aux droits de l’homme ». (...)
En d’autres termes, accorder l’asile à Assange reviendrait à faire de « l’ingérence ». Donc non.
Si, à gauche de l’échiquier politique français, Assange trouve du soutien, l’extrême droite n’est pas en reste sur le sujet. Quand, en janvier 2021, la justice britannique avait refusé en première instance de l’extrader, on avait vu Marine Le Pen s’en réjouir. (...)
Des liens forts avec la France
Julian Assange a une histoire rapprochée avec la France. C’est depuis un petit appartement dans le Marais, à Paris, qu’il finalise le codage informatique de WikiLeaks en 2006. Il a même un enfant en France dont l’identité n’a jamais été révélée. En juillet 2015, c’est Julian Assange lui-même qui évoque l’existence de cet enfant dans une lettre ouverte à François Hollande, dans laquelle il demandait au président de l’époque de lui accorder l’asile. (...)
François Hollande lui refusa immédiatement l’asile. WikiLeaks venait pourtant de révéler comment les Américains avaient activement espionné l’ancien président et ses deux prédécesseurs, Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac.
L’idée de demander l’asile à la France était venue de la ministre de la Justice de l’époque, Christiane Taubira, qui, fin juin 2015 sur BFMTV, n’avait pas fermé la porte à cette option. (...)
Des « gilets jaunes », des artistes, des anonymes
Si Hollande et après lui Macron ne veulent pas entendre parler d’Assange, de nombreux Français lui sont reconnaissants et le témoignent. En décembre 2019, des dizaines d’artistes signaient une pétition à l’initiative du réalisateur Laurent Bouhnik, pour exiger sa libération. Parmi eux Corinne Masiero, Lio, Josiane Balasko, Albert Dupontel, Cédric Klapish, Bruno Gaccio, Anne Roumanoff, Pascal Légitimus, Virginie Ledoyen, Bruno Podalydès ou Emir Kusturica [3]. Manu Chao a également composé un air en son honneur, intitulé « Palabras de verdad » (paroles de vérité). (...)
En mai 2019, puis en janvier et février 2020, des centaines de « gilets jaunes » ont pris la direction de Londres, en bus, pour aller manifester devant le tribunal londonien de Westminster et devant la prison de Belmarsh. (...)
En février 2020, celui qui allait devenir garde des Sceaux cinq mois plus tard défendait bec et ongles son client. (...) Deux ans plus tard, le ministre de la Justice n’a pas bougé le petit doigt pour son ancien client, ou alors dans les coulisses et sans succès à cette heure. (...)
Au Monde en revanche, nul engagement envers Assange. (...)
Mais, heureusement pour Assange, il y a dans le paysage médiatique français ceux qui lui témoignent un soutien sans faille, à l’image de L’Humanité, du Monde diplomatique ou de Là-Bas depuis des années (malgré l’opposition rageuse de Philippe Val qui était alors le directeur de France Inter ! Écoutez notre émission du 20 mars 2013).
Grand serviteur de cette cause, il y a également le site Le Grand soir, animé par Viktor Dedaj qui, sans moyens, fait depuis des années un gros travail d’information sur le dossier en traduisant des dizaines d’articles de l’anglais et en faisant campagne pour la libération d’Assange. Arte a diffusé une série de quatre documentaires sur cette affaire réalisés par Étienne Huver et Marina Ladous, qui ont notamment produit un gros travail d’investigation sur l’espionnage intensif subi par Julian Assange lorsqu’il était réfugié à l’ambassade d’Équateur à Londres. (...)
Aux États-Unis, Julian Assange, journaliste multiprimé, est sous le coup de dix-huit chefs d’accusation pour espionnage et piratage informatique. Il encourt 175 ans de prison et le risque d’être mis en détention dans une de ces prisons de très haute sécurité appelées « Supermax », en isolement extrême. Toutes les organisations de liberté de la presse et d’innombrables syndicats de journalistes à travers le monde tirent la sonnette d’alarme : s’il est extradé, Assange sera perdu. Il errera dans les abîmes du système judiciaire étasunien, indéfiniment.
Son affaire est complexe, pleine de ramifications et de tiroirs, même si le fond est simple : un journaliste poursuivi par la première puissance mondiale pour avoir révélé des crimes qu’elle a commis. Pour les détails, un livre qui peut largement éclairer le lecteur paraîtra en France à la rentrée aux Éditions Critiques. Celui de Nils Melzer, ex-rapporteur spécial de l’ONU sur la torture. Son titre : L’Affaire Assange. Histoire d’une persécution politique.