
Au cas où vous auriez manqué cet événement planétaire : le ministre de l’Éducation lance un think tank – Laboratoire de la République – pour promouvoir l’« antiracisme républicain » contre le « wokisme » et la « cancel culture ». Ainsi vont les urgences dans les écoles. Soupir.
Quelles sont les urgences, les dossiers prioritaires pour nos écoles, nos écoliers et tous ses professeurs ? Peut-être plus d’argent, afin de mieux payer les profs, d’en embaucher plus pour que les absences soient remplacées, pour en finir avec les classes surchargées, pour aussi faire en sorte qu’il n’y ait plus une école où le plafond laisse passer la pluie, où le chauffage marche une fois sur deux, tenir l’engagement d’une scolarisation totale des enfants en situation de handicap, lutter contre les discriminations et le harcèlement scolaire, etc., etc. Ce serait intéressant de voir le ministre de l’Éducation prendre ce sujet à bras le corps. Mais, de toute évidence, Jean-Michel Blanquer a d’autres priorités, comme on peut le lire dans un entretien accordé au Monde : « La France et sa jeunesse doivent échapper à l’idéologie woke ».
#VendrediLecture La question qu’essaye de masquer le ministre de l’éducation en brandissant le mot « woke » ne serait elle pas la destruction de la notion même d’école publique ?
Il est si pratique ce mot …@debatdecole1 pic.twitter.com/Es7rV1mafO— Sandrine Rousseau 🌻🌊 (@sandrousseau) October 15, 2021
Pour combattre cela, le ministre a donc pris sur son temps pour fonder un « cercle de réflexion et d’action » sobrement nommé « Laboratoire de la République » avec, en guest-stars Élisabeth Badinter, Rachel Khan – « figure d’une lutte antiraciste indifférente à la couleur de peau » –, Philippe Val, Jean-Pierre Chevènement, Aurore Bergé, Caroline Fourest ou encore l’inénarrable, le grand, le beau, le sublime Manuel Valls. On dirait le all-star game des laïcards islamophobes. Manque plus que Henri Peña-Ruiz pour compléter le tableau, lui qui avait théorisé le droit d’être islamophobe le temps d’une conférence. Et s’ils devaient fonder une revue, pour sûr, Rapĥaël Enthoven et Christophe Barbier seraient de la partie !
Lors de la soirée de lancement du « laboratoire », voici ce que l’on a pu entendre :
« Notre pays a été désigné comme cible par le mouvement woke. Si vaccin y avait contre ce virus woke, il serait français, et cela a bien été compris par les tenants de ce mouvement », dixit Pierre Valentin, auteur d’une étude sur le phénomène woke pour la Fondation pour l’innovation politique.
« République et démocratie se confortent mutuellement. Il n’y a pas de démocratie viable sans idée républicaine », dixit Jean-Michel Blanquer.
On est très clairement en train de dire que l’idéologie woke est une maladie, et que seule la République française en est le remède – sans parler du fait que, si l’on prend le ministre aux mots, des pays comme l’Espagne ou le Royaume-Uni ne sont pas des « démocraties viables »...
USA = URSS
L’ennemi est donc tout désigné. Et cet ennemi a une patrie : les États-Unis d’Amérique. Et là, on sent que Jean-Michel Blanquer a une idée, non pas pour la France, mais pour le monde. Une analyse si pertinente qu’elle se passe de tout commentaire :
« La République est aux antipodes du « wokisme ». Aux États-Unis, cette idéologie a pu amener, par réaction, Donald Trump au pouvoir, et la France et sa jeunesse doivent échapper à ça. »
Jean-Michel Blanquer en rempart de l’américanisation ? Pas que… Il s’érige aussi contre la Corée du Sud (...)
Heureusement que Jean-Michel est attentif. Allez, laissons-lui le mot de la fin : « Je ne suis pas obsédé par le wokisme ». Qu’est-ce que ça serait sinon...
Lire aussi :
Le terme anglo-américain woke (littéralement « éveillé » en français) désigne le fait d’être conscient des problèmes liés à la justice sociale et à l’égalité raciale (en)1. Le mot « woke » s’applique, selon la journaliste de France Télévisions Marine Zambrano, à toute personne qui serait consciente des injustices et de l’oppression qui pèsent sur les minorités2 et « wokisme », selon le journaliste François Clemenceau, au mouvement dans sa globalité3.
En raison de son adoption croissante au-delà de ses origines afro-américaines, le terme « woke » a acquis des connotations plus larges. Plutôt que d’être appliqué uniquement aux questions raciales, il a été de plus en plus utilisé comme un terme fourre-tout pour décrire des idées progressistes, souvent centrées sur la défense des droits de groupes minoritaires et informées par des courants universitaires comme la critical race theory (« théorie critique de la race » en français), qui visent à promouvoir la justice sociale. Cela comprend le mouvement Black Lives Matter et des formes connexes d’antiracisme, les fortes mobilisations lors des marches pour le climat ainsi que des campagnes sur les questions relatives aux femmes (comme #metoo) et aux LGBT. Le terme « capitalisme éveillé » (« woke capitalism ») a été inventé pour décrire les entreprises qui ont exprimé leur soutien à de telles causes. (...)