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Mediapart
En Iran, le régime échoue à imposer le voile malgré une répression sans fin
#iran #MahsaAmini #IranRevolution #repression #femmes
Article mis en ligne le 9 août 2023
dernière modification le 8 août 2023

Face au refus de plus en plus de femmes de porter le hidjab, le pouvoir se crispe et contre-attaque, même si les réformistes tentent de se faire entendre. Pendant ce temps, la population rit des « sextapes » qui circulent impliquant des religieux.

« Espionnage en relation avec une puissance étrangère. » C’est l’accusation qu’a finalement retenue début août un tribunal révolutionnaire de Téhéran à l’encontre de Niloufar Hamedi et d’Elaheh Mohammadi, les deux journalistes qui avaient révélé, en septembre dernier, l’histoire de Mahsa Amini, cette jeune Kurde iranienne de 22 ans battue à mort à Téhéran par une unité du gasht-e ershad (littéralement « les patrouilles de l’orientation islamique »), la police des mœurs, pour un voile mal porté.

À l’issue des deux premières audiences d’un procès à huis clos qui a commencé fin mai sans même la présence de leurs proches, les juges ont requalifié les chefs d’inculpation des deux jeunes femmes. Pour les magistrats, leur mise en accusation n’aurait aucun rapport avec leurs enquêtes sur ce meurtre qui a embrasé l’Iran pendant plusieurs mois et leur a valu d’être arrêtées quelques jours après le début de la révolte. Cette fois, d’après leurs avocats, ce qui leur vaut d’être poursuivies est tout simplement ahurissant : avoir assisté il y a environ un an et demi à un séminaire sur le journalisme en Écosse dirigé par « un juif ». Des accusations qui pourraient leur valoir, si des circonstances aggravantes sont retenues, la peine de mort. (...)

Niloufar Hamedi, 30 ans, reporter pour le journal Shargh (L’Orient), est spécialisée dans tout ce qui relève des droits des femmes dans son pays. C’est elle qui avait révélé le tabassage de Mahsa Amini, cherché et trouvé l’hôpital où elle se trouvait dans le coma, rencontré des témoins et sa famille, et publié des photos de la victime sur Twitter le jour même où elle décédait. Une semaine plus tard, la seconde journaliste jugée, spécialiste des questions de société au quotidien Ham-Mihan, faisait le déplacement en taxi jusqu’à la petite ville de Saqqez dans le Kurdistan iranien, pour rendre compte des funérailles de la jeune Kurde, point de départ des manifestations qui ont suivi. (...)

l’avocate Narges Mohammadi, une figure emblématique des combats féministes et la porte-parole de l’organisation Defenders of Human Rights Center (DHRC), s’est vu infliger le 4 août un an d’emprisonnement et 154 coups de fouet pour avoir fait sortir clandestinement de la maison d’arrêt une lettre dénonçant le harcèlement sexuel des prisonnières et fait campagne contre « la torture blanche », cette pratique qui consiste en un isolement total des détenu·es – elle-même l’avait subie pendant plus de deux mois dans le quartier 2A de la prison d’Evin, l’un des plus durs du fait de sa gestion par les pasdarans (gardiens de la révolution). Avec cette nouvelle peine, sa condamnation s’élève à présent à dix ans et six mois de prison et plus de 200 coups de fouet.

Depuis le soulèvement, la fustigation est aussi devenue l’une des principales armes de la répression. (...)

Autre nouvelle accablante pour la société civile iranienne, Nasrin Sotoudeh, autre grande figure des combats pour les droits de femmes – elle a été la première avocate à défendre celles qui refusaient de porter le voile, ce qui lui a valu d’être emprisonnée à son tour –, serait malade, ce qui expliquerait pourquoi elle a été relâchée sous caution il y a quelques mois alors qu’elle avait été condamnée à 38 années et demie de prison et 148 coups de fouet.

Sur la question du voile, l’institution judiciaire, le président Ebrahim Raïssi et son gouvernement ainsi que le Guide suprême Ali Khamenei campent sur une position résolument dure, faisant de cette question une ligne rouge absolue. Les fermetures de commerces qui n’interdisent pas l’entrée aux femmes non voilées se poursuivent au quotidien. Trois des plus importants sites de vente en ligne iraniens sont également sous le coup d’une menace après la diffusion d’images d’employées sans voile. De nouvelles punitions ont été imposées aux femmes arrêtées comme celle d’aller laver des cadavres ou l’obligation de se faire examiner dans des cliniques psychiatriques, ce qui est arrivé, outre des peines de prison, à deux actrices bien connues en Iran, Afsaneh Bayegan et Azadeh Samadi.

Cependant, on note les premiers craquements au sein du régime et des signes de plus en plus flagrants d’hésitation. Si la police des mœurs a repris sa chasse aux femmes bi-hidjab (sans voile) dans les rues des grandes villes, y compris avec des policiers à moto, personne au sein du régime n’a osé assumer cette décision. Dès lors, on ignore à quel niveau elle a été prise. (...)

Une loi sur le hidjab, destinée à sanctionner le dévoilement des Iraniennes et comportant 70 articles, est en attente d’être votée au Majlis (l’Assemblée islamique). Mais, quand bien même cette institution est un fief des radicaux – le 6 novembre 2022, 227 des 290 membres avaient appelé l’appareil judiciaire à exécuter les manifestants arrêtés –, un certain nombre de députés l’estiment néanmoins inapplicable. Le président du Majlis, et proche du Guide suprême, Mohammad Bagher Qalibaf, a même fait savoir qu’elle ne servirait à rien. Curieusement, Ali Khamenei, dont personne n’ignore qu’il est farouchement déterminé à ne rien céder, reste silencieux sur ce sujet.

La meilleure punition ? « Des coups de fouet ! » (...)

« Le port obligatoire du hidjab pour toutes les femmes, c’était un acquis absolu de ce régime et force est de constater qu’il l’a perdu, souligne le politiste et spécialiste des droits humains Reza Moini. On voit bien que la police peine à l’imposer et ne veut surtout pas d’affrontements. Elle se retire quand elle entend les gens crier, comme on l’a vu récemment à Racht (nord-ouest de l’Iran) et dans le nord de Téhéran. On n’avait jamais vu cela auparavant. »

Même chez les religieux, le débat aussi s’est ouvert. Certains campent sur des positions extrêmes. (...)
Mais pour d’autres clercs, le port du hidjab, puisqu’il n’est pas expressément prescrit par le Coran, ne saurait être obligatoire. (...)

Malgré la répression, les Iranien·nes qui n’aiment rien tant que rire des travers de la République islamique ont un nouveau sujet de moquerie : une histoire de sextapes qui frappe de plein fouet le régime au point de gagner les plus hautes sphères de l’État, dont le Conseil suprême de sécurité nationale, qui l’a évoquée. Diffusées par GilanNews, un canal de la messagerie Telegram, connu pour communiquer des informations de caniveau et administré depuis l’Allemagne par un journaliste iranien, ces vidéos, mises en ligne les 18 et 21 juillet, montrent des scènes explicitement sexuelles entre plusieurs mollahs et de l’un d’eux avec de jeunes hommes.

Le scandale frappe d’autant plus fort le pouvoir que l’un des religieux Reza Seghati est le directeur général du bureau pour la province de Gilan (nord-ouest de l’Iran) du ministère de l’orientation islamique et qu’il a récemment mené une campagne de surveillance baptisée « hidjab de quartier et chasteté vertueuse » visant à faire respecter les lois sur le voile.

Un autre religieux impliqué, Mahdi Haghshenas, est l’ancien directeur du Bureau de la propagation de la vertu et la prévention du vice, une organisation d’État très active dans la répression des milieux LGBTQ+, des femmes non voilées, et partisane d’une application la plus radicale possible de la charia, laquelle prévoit la peine de mort pour les relations homosexuelles. (...)

Les autorités recherchent qui a pu filmer les ébats des religieux qui, eux, ne devraient pas être arrêtés. Car, selon Mojtaba Zolnouri, l’un des vice-présidents du Majlis, « le crime de ceux qui ont diffusé ces vidéos est plus grave que celui des fornicateurs ».

La directrice d’une institution culturelle privée de Téhéran, qui a requis l’anonymat, dresse ce constat : « Ce régime aura tout fait pour que les gens se détournent de la religion. Les mosquées sont vides, les gens ne prient plus, ils ne respectent plus le jeûne du ramadan. Dans ma société, sur une dizaine de personnes, une seule l’a suivi cette année. Et elle avait plus de 70 ans. »