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La vie des idées
Éloge de l’intermédiaire
#fixeurs #journalisme
Article mis en ligne le 9 février 2023
dernière modification le 8 février 2023

Le « fixeur » ou drogman, auxiliaire-interprète indispensable tant aux journalistes qu’aux soldats en terrain hostile, se situe au cœur d’un réseau de relations et de transferts. Au Moyen Âge comme aujourd’hui, il incarne le besoin d’altérité.

Paru au moment où le départ des troupes américaines d’Afghanistan lie son sujet à une actualité brûlante, ce livre audacieux mène une enquête connectée entre le Moyen Âge et l’époque contemporaine, la littérature médiévale et l’histoire, autour de la figure du « fixeur », interprète-arrangeur indispensable tant aux journalistes qu’aux troupes en terre hostile, un personnage également bien connu des récits de voyage médiévaux en Orient.

Du Moyen Âge au contemporain

Pour tenter de saisir le fixeur entre le Moyen Âge et le monde d’aujourd’hui, Zrinka Stahuljak, d’origine croate et aujourd’hui professeure de littérature française à UCLA à Los Angeles, part de son expérience personnelle. Pendant la guerre de l’ex-Yougoslavie, la jeune femme parlant plusieurs langues européennes était elle-même fixeuse, interprète et facilitatrice du séjour et des échanges de journalistes ou d’observateurs occidentaux. (...)

Dans cet essai, elle s’interroge sur la définition, les conditions juridiques et les conditions de travail des fixeurs, indispensables lors des conflits, afin de faire sortir de l’ombre ces personnes le plus souvent invisibles, « intermédiaires » utiles mais jugés négligeables, si peu considérées qu’aucune loi ne les protège une fois le conflit terminé. Le réflecteur tourné vers les fixeurs les montre d’autant plus vulnérables que leur activité – qui n’est pas un métier – les rend ambivalents, suspectés de tous côtés.

Lors de son enquête, Stahuljak met constamment en tension les mondes médiéval et contemporain par des allers-retours fréquents et des questions qui embrassent les deux mondes. (...)

Bottins, guides et gardes du corps

Si le mot fixeur, aujourd’hui couramment utilisé, a été importé dans les années 1970 de l’anglais où to fix signifie arranger, le livre montre que l’activité, elle, est ancienne. En français médiéval, les termes sont nombreux pour désigner ceux qui la pratiquent : drogman, dragoman, drugeman, targuman, turceman, truchement, pour ne donner que les formes les plus fréquentes, dont on retrouve les équivalents dans les autres langues médiévales et qui pullulent dans la littérature, les récits de voyage, les chroniques médiévaux.

Zrinka Stahuljak les rencontre lors des voyages en Terre Sainte, en Orient, auprès des missionnaires, des diplomates, des explorateurs, des marchands. Aujourd’hui, lors des conflits, tant les journalistes étrangers que les troupes ou diplomates ont recours à ces auxiliaires multifonctionnels locaux qui, au-delà de leur travail de traducteurs, sont « leurs yeux et leurs oreilles », grâce à leur connaissance du terrain. (...)

En déplaçant le regard de la traduction, supposée transparente, vers les autres fonctions des fixeurs permettant de les décrire comme des acteurs fondamentaux de la médiation et de la communication entre cultures différentes, l’autrice définit le fixeur comme un dispositif au cœur d’un réseau de relations et de translationes, de transpositions ou de transferts.

Parallèlement, Stahuljak montre que, si on le considère comme une « fonction », simple relais technique, « moyen pur » effacé, invisible et dépourvu d’agentivité, défini par sa fidélité absolue, le fixeur est un organisateur-médiateur autonome disposant d’une agentivité, d’une capacité d’agir fondamentale : il intervient dans des situations de conflit et prend des décisions.

Une éthique envers les fixeurs (...)

https://laviedesidees.fr/Eloge-de-l-intermediaire.html