
La loi, dit-on, est la protection des faibles. Sauf pour les enfants étrangers quand elle refuse à leurs parents un titre de séjour, créant angoisse et précarité. Deuxième adage : "Gouverner, c’est prévoir", prévoir que dans 20 ans ces enfants seront des Français parmi d’autres. Heureusement le peuple, lui, sait que c’est maintenant qu’il faut se soucier d’eux, les entourer, les éduquer.
Le pain et la lumière par Marguerite Langlois
"Un enfant hurle en se tapant la tête par terre. Il bave d’indignation, les yeux blancs, dans la cour de récréation. Je me précipite, on se précipite, on le relève, on l’époussette, on essaye de le calmer. Il a le front gris de poussière, sa peau luit de transpiration. Il a quatre ans. Ses yeux déjà noirs, se foncent de colère. Il ne supporte aucune contrariété, aucune contrainte. À l’école. Car, chez lui, sa vie justement n’est que contrainte. Sa mère l’a emmené du Mali, encore bébé, le père est resté là bas . Elle vit dans un taudis avec la famille de sa sœur. La sœur a des tendances négrières, un comble. Elle utilise ses services pour le ménage, la cuisine, la garde des enfants contre un bout de matelas, et des restes à manger. Elle la supporte, car elle en a besoin. (...)
Je suis allée les voir, dans un ancien immeuble bourgeois déclassé, hall d’entrée noirâtre, encombré de poubelles puantes, escalier sale, murs suintants. L’appartement est plein de gens, de matelas, de sacs entassés. Des enfants courent partout, le bruit est permanent, on ne peut que survivre ici.
A l’école, nous commençons par essayer de calmer Mamadou, je suis consternée par le nombre d’enfants qui s’appellent comme ça, déjà voués à la caricature. (...)
Régulièrement Fatimata reçoit des OQTF, c’est très joli, ça veut dire "obligation de quitter le territoire français". Elle passe en jugement, j’assiste à une de ces séances au tribunal. Les cas défilent à grande vitesse. Les juges sont assis en habit derrière une grande table, la salle est bondée. De chaque côté, les avocats. Tout va très vite, l’immigré en situation irrégulière se lève à l’appel de son nom, se tient devant la cour, n’a pas le droit de parler, juste d’écouter son avocat défendre sa cause, 5 minutes pas plus, puis entendre l’avocat représentant l’Etat conclure à l’expulsion.
Coupable d’exister donc, et condamné à attendre des papiers sans lesquels il n’est rien, l’immigré retourne à sa vie de cloporte. La république, cette femme irréelle, n’étend pas ses bras aux confins de la miséricorde, elle ne fait que les entrouvrir. Parfois, les hommes tombent accrochés à ses basques, heureux quand même des miettes dispensées. Prêts à mourir pour mourir ici. Un paradoxe vénéneux. (...)
Pendant ce temps, les citoyens paient pour des taudis au prix des hôtels de luxe pour que des enfants y perdent leur vie, les soignants accompagnent ces gens, malades de la vie qui leur est faite, les enseignants essaient d’enseigner la futilité de la culture à des jeunes qui n’ont aucune raison de s’y intéresser. Quand on a faim, est ce qu’on s’intéresse à Molière ?
La colère me tient, une colère méchante et sourde contre ce gâchis quotidien, une vie d’enfant broyée, (...)
Et tout le monde se demande pourquoi je fais ma mère Teresa. En vain, avec de mauvais résultats. Je m’en fous, je sais au fond de moi que j’ai raison. Je ne veux pas détourner le regard, je les ai vus, c’est trop tard. Je les ai vus, et j’ai pensé à l’auvergnat de Brassens. La place auprès du père éternel, je n’y crois pas, mais j’ai ma dignité, j’ai commencé, je termine. Je ne fais pas la charité, je donne de l’oxygène à des gens qui s’étouffent, qui se noient. Une mère courage, déterminée à rester en France dans des conditions si difficiles qu’aucun des gens que je connais ne résisterait, et surtout pas moi. Qui de nous est prêt à tout abandonner pour vivre dans un pays qui nous méprise ? (...)
Ça fait pompeux, mais en 1872 Victor Hugo écrivait, terrible visionnaire, "j’ai pris la résolution de demander pour tous le pain et la lumière" Il disait aussi "comment peut-il penser celui qui ne peut vivre ?"" (...)