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« Des “fâchés pas fachos”, il n’y en a pas. Il ne faut jamais aller sur ce terrain-là »
#extremedroite
Article mis en ligne le 2 octobre 2024
dernière modification le 25 septembre 2024

Selon le philosophe Michel Feher, le Rassemblement national a construit son récit sur une opposition entre les « producteurs », comprendre les honnêtes gens, et les « parasites » d’en haut et d’en bas. Entretien.

Que ce soit sur les plateaux de télévision, dans les discours de la droite ou même dans une partie de ceux de la gauche, l’extrême droite a réussi à imposer ses thématiques, mais aussi son imaginaire. Le philosophe Michel Feher le décrit dans son livre Producteurs et parasites, l’imaginaire si désirable du Rassemblement national (La Découverte). Selon lui, le RN désigne deux catégories de parasites : ceux « d’en haut », les financiers, les spéculateurs et les usuriers, et ceux « d’en bas », les assistés, qui seraient issus de l’immigration. Ce duo accaparerait les richesses produites par les « producteurs ». Ces derniers, qui représentent « le peuple », sont au milieu. Dans cet imaginaire fabriqué de toute pièce, ils seraient « les gars de chez nous », indique Michel Feher, fidèles à leur culture nationale et à « leur terre ». Les partis comme le RN qui exploitent cette vision « producériste » du monde, réussiraient ainsi à sortir des schémas habituels produits soit par les libéraux et la droite, soit par la gauche, explique le philosophe. (...)

« On va vous débarrasser des parasites, et ce faisant, on va empêcher cet horrible ultralibéralisme qui provoque des délocalisations, qui donnent des rémunérations absolument indécentes aux actionnaires, etc. » Ils adaptent leurs discours autour de cet imaginaire selon les demandes du moment.

D’une manière générale, l’électorat RN n’a jamais été très friand de réformes néolibérales. Ils ne veulent pas perdre leurs droits sociaux, leur accès aux services publics. Contrairement à son père, Marine Le Pen s’est rendu compte de ça, et elle s’est mise à taper sur l’ultralibéralisme. Mais c’est un basculement sans frais puisque les remèdes sont toujours les mêmes : débarrasser leur électorat des parasites qui sont d’ailleurs tous étrangers ou d’origine étrangère, et les salaires ou profits augmenteront sans que rien ne change. C’est la plus grande supercherie, ou le plus grand paradoxe du Rassemblement national qui est présenté comme un parti anti-système, un parti qui veut renverser la table, alors que c’est tout le contraire. (...)

À gauche comme à droite, utiliser cet imaginaire peut être tentant par sa facilité. C’est un piège terrible, aussi bien pour la droite que pour la gauche, parce que lorsqu’on va sur le terrain de l’extrême droite, qu’on utilise son imaginaire, qu’on parle comme elle, on la légitimise. Et on ne leur vole pas le moindre électeur, parce qu’ils sont beaucoup plus habiles dans l’utilisation de cet imaginaire. (...)

Des « fâchés pas fachos », malheureusement, il n’y en a pas. Il ne faut jamais aller sur ce terrain-là. Dès lors qu’il y a un début de légitimation de la racialisation des parasites, de la division de la société en producteurs contre parasites, cela fait monter l’extrême droite. (...)

Il faut admettre qu’un bon tiers de l’électorat est fasciste, ou pré-fasciste.

De la même manière qu’on ne naît pas lepéniste, mais qu’on le devient, on ne l’est pas forcément pour toujours. Mais pour les faire cesser de l’être, ce n’est pas en leur montrant une empathie et une compréhension sans bornes que les choses vont bouger. Il ne faut pas les convertir pour les battre, il faut les battre d’abord pour les convertir. Ils cesseront d’être fascistes une fois défaits, pas avant. (...)

Lire aussi :

 (Editions la Découverte)
Producteurs et parasites - Michel Feher
L’imaginaire si désirable du Rassemblement national