En août dernier, du hublot d’un avion survolant l’île indonésienne de Sumatra, j’ai compté près d’une douzaine de panaches de fumée qui s’élevaient des vastes étendues de jungle et de plantation en contrebas, certains larges de presque un kilomètre. On aurait dit des colonnes soutenant le ciel. Cette semaine-là, l’agence indonésienne de prévention des catastrophes (la BNPB) a détecté 143 nouveaux feux de forêt dans la province de Riau, la zone que je survolais. Tous ces feux étaient très certainement liés à la déforestation pour le bois d’œuvre et l’agriculture, essentiellement la production d’huile de palme.
L’huile de palme, qui est présente dans une quantité impressionnante d’aliments et de produits de beauté et constitue également une matière première pour les biocarburants, pose de nombreux problèmes environnementaux. En Indonésie, c’est la cause principale de la déforestation, à l’origine de la destruction de l’habitat de nombreuses espèces et qui contribue au changement climatique. De plus, les eaux usées des raffineries d’huile de palme rejettent d’immenses quantités de méthane, un gaz à effet de serre 34 fois plus puissant que le dioxyde de carbone.
Lutter contre les problèmes environnementaux causés par la production d’huile de palme n’est pas une tâche facile, en raison de l’omniprésence de l’huile de palme mais également parce que les solutions de substitution sont loin de présenter toutes les qualités de cette huile polyvalente. Mais elles ont le mérite d’exister. (...)
C’est ici, dans la tourbière qui brûle sous les forêts, que l’impact climatique de la production d’huile de palme se voit le plus. Lorsqu’on déforeste pour libérer des terres pour la culture du palmier, la terre est généralement brûlée et la plupart des grands incendies de Riau se produisent sur ces tourbières, des zones marécageuses de végétation en partie décomposée qui s’enfoncent jusqu’à 18 mètres de profondeur sous la plupart des forêts de la province. (...)
Les tourbières peuvent contenir jusqu’à vingt-huit fois plus de carbone que les forêts tropicales aux sols latéritiques. La tourbe est tellement riche en carbone qu’enterrée suffisamment longtemps, environ un million d’années, la pression, le temps et la chaleur la transformeront en charbon. Un seul hectare de tourbière tropicale peut relâcher 6 000 tonnes de dioxyde de carbone, un gaz à effet de serre, lorsqu’elle est transformée en plantation. En 2012, des chercheurs estimaient que près de 70 % du carbone libéré dans l’atmosphère lors de la transformation des forêts tropicales de Sumatra en plantations d’huile de palme provient des tourbières, soit 75 % de plus par rapport à leur part dans les émissions dans les années 1990 et le signe que la culture s’étend de plus en plus sur les tourbières.
Mais le CO2 n’est pas le seul problème : en 2013, Susilo Bambang Yudhoyono, alors président de l’Indonésie, s’est excusé auprès de Singapour et de la Malaisie pour le nuage sombre formé par les incendies à Sumatra à l’origine d’une pollution de l’air record dans les pays voisins qui a rempli les hôpitaux de dizaines de milliers de patients intoxiqués par la fumée et obligé les autorités à fermer les écoles. Des avions indonésiens ont créé des nuages artificiels au-dessus des incendies avec 100 tonnes de sel dans l’espoir d’éteindre la tourbe qui se consume lentement.
Lorsque les forêts se sont à nouveau embrasées six mois plus tard, le bureau du président a reçu plus de 9 000 tweets. Lors d’un déplacement en urgence à Riau, il a déclaré que ces incendies lui faisaient honte. Près de 50 000 Sumatranais ont requis des soins à cause de l’effet de la fumée sur leurs poumons, leurs yeux et leur peau. Les avions sont repartis créer des nuages artificiels.
Les incendies chassent des milliers d’Indonésiens de chez eux et détruisent l’habitat d’espèces en danger comme les éléphants, les rhinocéros, les tigres et les orangs-outans. (...)
En 2013, la consommation mondiale d’huile de palme a atteint les 55 millions de tonnes, près de quatre fois la quantité utilisée vingt ans plus tôt. (...)
au bout du compte, les lois, les traités, les agences gouvernementales et les incitations n’auront qu’un impact mineur si l’on ne revoit pas en profondeur notre façon de produire et de consommer de l’huile de palme. Et, malheureusement, il n’existe guère d’alternative viable à ce produit.
« L’huile de palme présente des avantages que l’on ne peut pas ignorer, m’a expliqué Alan Townsend, doyen de la Nicholas School of the Environment à l’Université de Duke, avant mon voyage en Indonésie. Le palmier est l’une des cultures qui produisent le plus au monde, capable de pousser dans dune remarquable diversité d’environnements. Si on y ajoute l’importance des marges bénéficiaires, la diversité incroyable d’utilisation de son huile et l’absence de substituts compétitifs sur le plan économique, on comprend vite pourquoi ce secteur s’est développé si rapidement. » (...)
En Europe, les efforts pour éviter les aliments génétiquement modifiés ont favorisé l’huile de palme, qui est tellement riche qu’elle n’intéresse pour l’instant guère les apprentis-sorciers de la génétique. En Chine et en Inde, la recherche par une classe moyenne en pleine expansion d’huiles alimentaires de qualité dépend actuellement entièrement de l’huile de palme pour être satisfaite.
Cet essor est également dû à nos modes de transport. Avec l’intérêt croissant pour les biocarburants, la dévastation que la production d’huile de palme inflige aux forêts tropicales et au climat remplace les dégâts environnementaux liés au pétrole brut.
Certaines conséquences de la production d’huile de palme, comme la déforestation et la destruction d’habitats naturels, ont suscité un boycott de la part des consommateurs. Mais ce type d’actions augmente la demande pour des cultures d’huile encore plus destructrices pour les forêts et le climat. (...)
Une autre voie prometteuse
Mais la demande d’autres options se faisant de plus en plus pressante, la situation pourrait bien changer. Il existe même une alternative à l’huile de palme qui ne nécessite pas un hectare de terre.
Grâce à leur polyvalence, les microalgues offrent une concurrence intéressante à l’huile de palme.
La société californienne Solazyme utilise les microalgues pour produire des huiles de biodiesel, qui ont déjà alimenté des avions de United Airlines et des navires de la marine américaine. Elle se diversifie avec des huiles pour les savons, les produits de beauté et l’alimentation qui offrent des marges bénéficiaires plus élevée que les carburants. (...)
Malgré tout, le goût des consommateurs et l’économie de l’agriculture mettent du temps à adopter les huiles à base d’algues et il faudra certainement plusieurs années pour qu’elles remplacent plus que quelques gouttes dans le raz-de-marée de l’huile de palme.
Améliorer le processus de fabrication de l’huile de palme
Pour Rhett Butler, une solution plus immédiate consisterait à rendre l’industrie de l’huile de palme plus propre.
« Les entreprises pourraient soutenir l’établissement de règlements et de bonnes pratiques contre la reconversion des forêts. Ces derniers mois, les acheteurs et producteurs ont été très nombreux à s’engager en faveur d’une déforestation nulle. » (...)
De l’autre côté de la chaîne de production, Philip Taylor indique des objectifs plus faciles à atteindre pour réduire le coût de l’huile de palme sur l’environnement. Ses propres recherches et celles d’Alan Townsend montrent que le méthane émis par les raffineries d’huile de palme représente plus d’un tiers de l’impact de l’industrie de l’huile de palme sur le climat et un seul bassin d’eaux usées d’une raffinerie d’huile de palme rejette chaque année l’équivalent de 22 000 voitures en gaz à effet de serre. Ce méthane pourrait servir à fabriquer de l’électricité simplement en couvrant le bassin et en installant un générateur de biogaz. Si toutes les raffineries au monde (plus de 1 000) transformaient leur méthane en électricité, cela réduirait par trente-quatre l’impact de leur activité. Mais seules 5 % des installations sont équipées.
En Indonésie, les usines et raffineries d’huiles de palme génèrent déjà leur propre électricité grâce à la combustion des déchets solides du fruit. Elles se trouvent en général éloignées du réseau électrique et ne disposent ni des infrastructures, ni des politiques nécessaires pour alimenter ce réseau en électricité. Mais elles pourraient envoyer l’énergie aux villages voisins. (...)
L’initiative en faveur d’une huile de palme durable de l’Indonésie exige des producteurs d’huile de palme qu’ils commencent à développer la capture de biogaz, ce qui devrait accélérer l’adoption de cette technologie par plus d’entreprises.
Et les centaines de véhicules impliqués dans la chaîne d’approvisionnement de l’huile de palme à l’échelle nationale pourraient rouler au gaz liquide, un carburant qui connaît un développement accéléré ailleurs en Asie. (...)
L’un des producteurs, Asian Plantations, estime que la demande mondiale d’huiles comestibles devrait plus que quadrupler d’ici 2050. L’huile de palme devrait en fournir plus de 60 %.
C’est pourquoi, dans la recherche de solutions de remplacement de l’huile de palme, ce qui compte avant tout, c’est sans doute le sentiment d’urgence.