Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
La vie des idées
Une nouvelle histoire des Tsiganes ?
Article mis en ligne le 22 juin 2018
dernière modification le 20 juin 2018

lutter contre les discriminations dont les Tsiganes sont victimes sur son territoire, un ensemble de travaux récents montre comment, depuis le Moyen Âge, l’effacement des différences qui caractérisent les populations tsiganes a conditionné leur marginalisation croissante.

La manière dont est discutée et envisagée la position des populations tsiganes dans l’Europe contemporaine repose en grande partie sur un déficit de connaissances historiques. Le refus de tenir les migrants originaires de Roumanie ou de Bulgarie pour des migrants intracommunautaires, l’assimilation entre les conditions de vie souvent précaires de certains d’entre eux et un mode de vie supposément assumé voire choisi, le doute porté sur une « capacité à s’intégrer » et à opter pour un hypothétique modèle commun, la confusion réitérée entre les migrants récents et les populations tsiganes historiques, regroupées en France dans une catégorie administrative spécifique qui stigmatise les « Gens du voyage », toutes ces positions prospèrent sur la base d’une infinité de simplifications historiques. Les filtres élaborés par les sciences humaines pour aborder les questions sociales ne semblent ainsi plus fonctionner lorsqu’il est question de ces populations, ce qui ouvre la voie à des généralités, approximations et opinions schématiques qui seraient unanimement condamnées s’il s’agissait d’un tout autre groupe. (...)

Néanmoins, ces dernières années, la production historiographique a connu un renouvellement profond qui manifeste à la fois l’opiniâtreté d’une nouvelle génération de chercheurs et la constitution d’un socle de connaissances de nature à transformer profondément le regard du grand public comme celui de la communauté scientifique.(...)

l’exotisme
L’un des apports fondamentaux des travaux portant sur la fin du Moyen Âge et l’époque moderne tient dans la démonstration des multiples aspects de l’ancrage social et territorial des populations tsiganes en Europe. L’enjeu principal de ces études est de mettre à distance la perspective d’une origine hypothétique et lointaine pour déconstruire le mythe d’une migration homogène, située dans le temps et l’espace (qu’on suppose qu’elle parte d’Inde ou d’ailleurs). La question reste essentielle, puisqu’elle sous-tend l’idée que les populations tsiganes n’appartiennent pas véritablement au monde et au mode de vie européen et que leur position de citoyen reste sujette à caution. L’hypothèse même de cette séparation ontologique semble justifier par ailleurs toutes les modalités d’un traitement spécifique et « adapté », supposément commandé par une différence fondamentale.

Les difficultés rencontrées par les historiens sont nombreuses : pour saisir les diverses formes d’un ancrage local et les modalités de cette inclusion, il faut surmonter l’obstacle de la désignation, qui recourt bien souvent au registre du lointain et de l’exotisme(...)

Tsiganes, premiers regards. Craintes et fascination dans la France du Moyen Âge (Lyon, Fage, 2014), Denis Bruna entreprend l’étude de l’iconographie produite en France entre le XVe et le début du XVIe siècle et s’appuie sur un croisement inédit de sources visuelles et écrites (chroniques, sauf-conduits, comptes urbains et délibération des communes). Il constate que des groupes importants de plusieurs dizaines d’individus, guidés par ceux que les documents désignent comme duc ou comte de Petite-Égypte, circulent couramment en Provence ou en Flandres dès les années 1410. Lettres et sauf-conduits témoignent à la fois de l’accueil des prélats, seigneurs ou échevins et du statut élevé de ces nobles qui, pour certains, se rendent à Rome en 1422 et obtiennent une bulle papale de protection exhibée à plusieurs reprises, à Amiens en 1427, à Rotterdam en 1429 ou à Nevers en 1436. L’accueil et la générosité des communes qui assurent parfois un séjour paisible traduisent l’échange négocié de services qui vont de l’assistance militaire à la production de spectacles. Bonne aventure et autres pratiques divinatoires jugées sévèrement dans les sources religieuses montrent a contrario le caractère régulier d’une activité inscrite dans l’ordre quotidien des pratiques populaires. (...)

Jusqu’à la fin du XVIIe siècle, deux modèles, celui des compagnies militaires et celui des implantations urbaines, dans la France du Sud, l’Espagne et l’Italie surtout, coexistent et structurent l’ancrage des Tsiganes en Europe occidentale. C’est ce qui explique les diverses incorporations des figures multiples des Bohémiens, Gitans et Zingari à l’âge baroque. (...)

Bohémiennes et même les Gitanes d’Espagne, pourtant surveillées par l’Inquisition, ne sont jamais brûlées comme sorcières. Ceci s’explique tout à la fois par l’affirmation sociale du mestier de bohémienne et par le développement de la figure baroque de Belle Égyptienne. (...)

En dépit d’une vogue artistique considérable, les caractéristiques culturelles des sociétés tsiganes sont la cible d’une répression qui s’accentue à partir du XVIIIe siècle. (...)

Dans le royaume d’Espagne, l’acharnement exercé par la monarchie catholique à l’encontre des Gitanos est encouragé par le mouvement anti-tsigane des letrados, universitaires humanistes qui construisent le schéma de la nation errante en lui déniant le droit de se considérer comme un peuple doté de coutumes, d’une langue authentique et de costumes traditionnels. Cette théorie particulièrement retorse se retrouve incorporée à la littérature anti-tsigane qui prospère dès le XVIIe siècle et se prolonge jusqu’au XXe siècle. (...)

Au cours du XIXe siècle, la diversification des sociétés tsiganes s’accentue. En premier lieu, la constitution des États sur la base du principe des nationalités modifie la typologie des communautés romanies dans l’Europe entière.(...)

On assiste donc à une qualification des communautés sous l’effet des recompositions nationales, et ce qui apparaît aujourd’hui comme une classification anthropologique des Roms (roumains, hongrois, serbes, etc.), de telle ou telle partie de l’Europe orientale, résulte en réalité d’une définition produite par un modèle de catégorisation à la fois ethnique et politique qui s’étend en Europe après 1815(...)

Le virage répressif observé à partir des années 1890 est au centre de nombreux travaux récents, qui montrent comment l’état de « Tsigane » est assimilé à celui de paria, confondu avec l’étranger, le vagabond ou le criminel, autant de figures négatives consolidées par les sciences normatives et positivistes. (...)

L’état actuel des recherches a mis en évidence la convergence des politiques publiques visant à exercer une surveillance des populations, contrôler leur mobilité et identifier nominativement les familles et les individus désignés comme Nomades, Zigeuner, Zingari ou Gypsies, selon les pays. (...)

Situés aux marges du processus qui conduit à la nationalisation des sociétés européennes, les Tsiganes se trouvent exclus du régime conventionnel de la citoyenneté et des règlementations policières spécifiques leur sont appliquées : la loi française de 1912, instaurant un carnet anthropométrique pour tous les « nomades » résidant sur le territoire, incarne à l’extrême une volonté de contrôle et d’identification observable dans tous les pays d’Europe, avant et après la Première Guerre mondiale (...)

allemande fondée sur la raciologie s’étend dans la plupart des pays d’Europe ; dans la littérature juridique et criminologique des régimes autoritaires comme des régimes démocratiques, tout concourt à éradiquer la présence tsigane des territoires nationaux.(...)

génocide : un nouveau cadre historiographique
Les études portant sur le sort des populations tsiganes d’Europe durant les années 1930 et 1940 se sont multipliées depuis le début des années 2010, et les recherches en cours permettent de rattraper les décennies de quasi oblitération d’un sujet laissé pour compte par les historiens de la Seconde Guerre mondiale. (...)

La population tsigane d’Europe, estimée entre 7 et 10 millions d’individus au début des années 2010, ne peut être réduite ainsi à quelques définitions générales : sa diversité, héritée d’une histoire à la fois méditerranéenne et européenne, locale et globale, démontre l’inconsistance des approches réductionnistes ou essentialistes qui, régulièrement, tentent de la circonscrire. (...)