
Le « chant d’amour pour Israël » de François Hollande, et ses conséquences
« Nous aussi, nous aimons la vie quand nous en avons les moyens.
Nous dansons entre deux martyrs et pour le lilas entre eux,
nous dressons un minaret ou un palmier.
Nous aussi, nous aimons la vie quand nous en avons les moyens.
Au ver à soie, nous dérobons un fil pour édifier un ciel
qui nous appartienne et enclore cette migration.
Et nous ouvrons la porte du jardin pour que le jasmin
sorte dans les rues comme une belle journée.
Nous aussi, nous aimons la vie quand nous en avons les moyens.
Là où nous élisons demeure, nous cultivons les plantes
vivaces et récoltons les morts.
Dans la flûte, nous soufflons la couleur du plus lointain,
sur le sable du défilé, nous dessinons les hennissements
Et nous écrivons nos noms, pierre par pierre. Toi l’éclair,
éclaircis pour nous la nuit, éclaircis donc un peu.
Nous aussi, nous aimons la vie quand nous en avons les moyens... »
Mahmoud Darwich (...)
Après le « chant d’amour » à l’égard d’un gouvernement d’extrême droite entonné par le président de la République lors de sa visite officielle en Israël en novembre 2013, on aurait sans doute dû s’y attendre ; mais on présumait que le bilan des morts et le simple état des forces en présence commanderaient un minimum de nuances. Sauf que non. Pas un mot pour les victimes civiles : cette omission traduisait la résurgence d’un mépris colonial abyssal, archaïque, décomplexé. La France reprenait à son compte la négation par Israël de la valeur d’une vie arabe — la propagande invite sans cesse à se demander « ce qu’on ferait » si des roquettes tombaient sur Londres ou Paris, mais elle n’envisage jamais qu’on puisse se mettre à la place d’un Palestinien et imaginer, par exemple, le onzième arrondissement de Paris réduit à un paysage lunaire jonché de cadavres. (...)
On a franchi ces derniers jours un nouveau seuil dans la constitution de la population dite « arabo-musulmane » en bouc émissaire de la société française. Au sens littéral, le bouc émissaire est un bouc que l’on charge de tous les péchés d’une communauté pour la purifier. L’expression désigne par extension « une personne sur laquelle on fait retomber les fautes des autres ». Grâce à ce procédé, aucun membre de la communauté accusatrice n’est plus coupable du péché, tandis que tous les membres de la communauté accusée le sont. Magie ! En l’occurrence, ces dernières années, la France blanche a pu ainsi s’absoudre à la fois de son sexisme et de son antisémitisme. (...)
Je me souviens de ma stupeur la première fois que j’ai entendu prononcer le mot « antisémitisme » à propos des tensions suscitées en France par le début de la seconde Intifada, fin 2000. Ma naïveté d’alors, qui me paraît exotique avec le recul, témoigne du fait qu’on était à un point de bascule, qu’on était en train de changer d’époque (même ahurissement, un an plus tard, en entendant pour la première fois parler de « musulmans français » pour des gens qu’auparavant on ne désignait jamais par leur religion). Je n’en revenais pas : comment pouvait-on assimiler la colère suscitée par un contexte géopolitique précis à de la haine raciale ? (...)
Depuis ce communiqué de l’Elysée le 9 juillet, j’ai l’impression d’être passée dans la quatrième dimension, ou d’évoluer dans un livre de George Orwell — mais bien sûr, la rhétorique israélienne, puisqu’elle est capable de réclamer le prix Nobel de la paix pour Tsahal, trouve le moyen de récupérer même Orwell. Les horreurs se succèdent à Gaza, et elles semblent ne pas avoir de limites.
Comme beaucoup de gens autour de moi, je suis déprimée, sur les nerfs. Incapable de me laisser aller à l’insouciance de l’été, je passe mon temps à suivre les informations ; par moment j’ai l’impression de devenir folle. Il faut supporter non seulement le spectacle de ce qui est infligé aux Palestiniens, mais aussi les discours qui disent plus ou moins sournoisement que ces gens l’ont bien cherché, et qui tentent de diaboliser ceux qui les défendent. (...)
Quels sont les médias français qui restent encore imperméables aux « éléments de langage » israéliens ? Le Monde diplomatique, L’Huma, Mediapart, Arrêt sur images, Politis (j’en oublie peut-être ; j’espère que j’en oublie). Quels sont les partis politiques qui défendent encore les droits des Palestiniens ? Le Nouveau parti anticapitaliste, le Front de gauche, les Verts... Tout ça ne pèse pas lourd face aux grosses machines dominantes. La conséquence, c’est qu’il y a de moins en moins de relais pour l’énorme colère suscitée. Et l’interdiction des manifestations vient parachever cet étouffement (...)
Priver de relais une colère légitime, biaiser et verrouiller l’information, c’est jouer un jeu terriblement dangereux. C’est abandonner en rase campagne des pans entiers de la population et créer une confusion propice à toutes les dérives. Dans ce contexte, beaucoup de militants propalestiniens, bien que confrontés aux insultes, au racisme, à l’arbitraire, conservent un sang-froid et une lucidité remarquables. Mais c’est peu dire que ça tangue. On voudrait doper l’audience de Soral et de Dieudonné qu’on ne s’y prendrait pas autrement. (...)
Le Réseau Palestine Marseille l’a rappelé avec force : « La guerre à Gaza est une guerre coloniale. C’est un massacre commis par une armée d’occupation contre un peuple. Cette guerre n’est ni raciale, ni religieuse, ni communautaire. Soutenir les Palestiniens de Gaza, c’est défendre le droit ! »
Malheureusement, des années de matraquage islamophobe ont rendu cette voie impossible à emprunter. Il ne reste plus qu’à espérer qu’on ne le paiera pas trop cher.