
La première partie du recueil propose un bilan sur les travaux qui ont été menés sur Jésus en tant que personnage historique. Il s’agit d’observer la lettre des Evangiles, non plus comme une parole sacrée, mais comme un texte située, daté, qui nous apporte des renseignements historiques sur l’homme qui s’appelait Jésus et qui a réellement vécu en Palestine il y a deux mille ans.
Les trois « quêtes » du Jésus de l’histoire
D. Marguerat rappelle qu’on distingue traditionnellement trois « quêtes » du Jésus historique. La première, dite « libérale » se produit au XIXème siècle. Des auteurs comme David Strauss ou Renan font une lecture rationaliste des Evangiles qu’ils veulent débarrasser de tout surnaturel en les démythologisant. Jésus est alors perçu comme une figure intéressante de la spiritualité humaine.
La deuxième quête, entre 1900 et 1980 agit avec plus de méthode et de prudence dans la reconstruction de la vie de Jésus et prend davantage en compte l’écart entre l’orientation croyante - et donc partiale - des Evangiles et les données de l’histoire. Des auteurs comme J. Weiss, E. Käsemann ou C. Perrot s’y sont illustrés. Les résultats de cette seconde quête correspondent à la reconnaissance de l’importance du concept de « règne de Dieu » dans la prédication de Jésus et à la compréhension foncièrement eschatologique de sa venue.
Dans les années 1980, on a parlé d’une « troisième quête » pour désigner les recherches de savants actuels - souvent anglo-saxons. Si leur reconstruction de la personnalité et de la vie de Jésus divergent , tous intègrent cependant un renouvellement de la compréhension de la judéité de Jésus. En reconnaissant davantage la diversité du judaïsme palestinien avant la chute du second Temple, ils ne présentent plus Jésus comme voulant fonder une religion du cœur, loin du rigorisme et du légalisme juifs, comme le soutenait les auteurs de la deuxième quête. Au temps de Jésus, le rapport à la Torah et au Temple était loin d’être les mêmes dans chaque « secte » juive . Une meilleure prise en compte de la littérature rabbinique a joué un rôle important. Comme le dit Marguerat, « le résultat fut de faire émerger une image de Jésus où les conflits - indéniables - avec ses contemporains ne sont pas interprétés comme des conflits avec le judaïsme, mais comme des conflits à l’intérieur du judaïsme » .
L’autre nouveauté importante apportée par cette « troisième quête » est qu’on ne recherche plus le Jésus réel, mais un Jésus possible . Ainsi Ed P. Sanders estime que sur la question de la Torah, Jésus reste proche du pharisaïsme et en respecte les règles. Simplement, il admet les pécheurs dans la grâce sans l’exigence préalable d’une conversion, ce qui est un point de rupture avec le pharisaïsme. Les paroles de Jésus sur la Torah sont loin d’exprimer un rejet de celle-ci, mais témoignent au contraire de son intangible attachement. On peut même dire que la Torah reste complètement admise par Jésus qui ne discute pas sa validité mais son interprétation.
Marguerat explique ainsi que les paroles de Jésus sur le sabbat et son éventuelle suspension ne sont pas une marotte personnelle mais un sujet très présent dans les réflexions sur l’interprétation de cet interdit qu’on trouve dans la Torah. Le problème n’est pas de savoir s’il faut respecter le sabbat, la réponse est oui, mais dans quel cas il pourrait faire exception. Tous ces arguments corroborent la perspective propre à la « troisième quête » d’un Jésus essentiellement juif, dont on ne peut comprendre la figure qu’avec une solide étude du judaïsme de son époque.
Jésus, philosophe ou prophète ? (...)