
Les banques continuent d’être au cœur des scandales, inspirant défiance et rejet ; et pourtant, elles sont incontournables, tant il est difficile de se passer d’un compte bancaire. Faute de changement radical, cette tension a provoqué un regain d’intérêt pour des modèles bancaires dits « alternatifs », par opposition aux mastodontes bancaires dont l’essentiel des activités est tourné vers les marchés financiers. Que penser de ces « nouvelles » banques coopératives, éthiques, locales, de plus petite taille ? Constituent-elles une véritable alternative au modèle dominant ?
Commençons par les alternatives qui visent les épargnant-e-s : l’épargne peut être investie dans une direction ou une autre ; autrement dit, il est possible de fixer un certain nombre de critères pour que l’épargne serve à financer des activités qui ne créent pas de dommages environnementaux et sociaux, voire qui ont un impact positif sur la société.
Ainsi l’« Investissement socialement responsable » (ISR) peut exclure certains domaines aussi variés que l’armement, l’énergie nucléaire, la pornographie, les casinos… L’ISR peut aussi choisir – et c’est la pratique la plus répandue [1] - de financer les entreprises les mieux notées d’un secteur selon des critères dits « extra financiers », ou de sélectionner les investissements dont l’impact social ou environnemental sera jugé le meilleur selon des critères mesurables [2].
Malgré son intérêt a priori, le principe de l’ISR a été largement dévoyé. Privilégiant la pratique des entreprises cotées en bourse, en d’autres termes, l’ISR ne remet pas en question le principe de maximisation du profit à court terme, aux impacts sociaux et environnementaux pourtant délétères [3]. Par ailleurs, la taille du marché de l’ISR demeure très limitée(...)
des banques comme BNP Paribas, Société générale ou Deutsche Bank ont des offres de produits d’investissement ‘durables’ tout en étant les banques les plus dangereuses (trop grosses pour qu’on les laisse faire faillite) et les plus dominantes d’Europe.
Les politiques d’allocation de crédit
La façon dont les crédits seront octroyés touche plus fondamentalement à la structure de la banque que les produits d’épargne qu’elle propose à ses clients, car c’est dans les choix qu’elle opère en finançant un projet plutôt qu’un autre qu’une banque a l’impact le plus direct sur le monde qui l’entoure. (...)
D’autres encore vont plus loin et intègrent l’intérêt des employé.e.s et des usagers dans leur fonctionnement. Ainsi, les banques coopératives [7], dont la charte est déterminée ou adoptée par les sociétaires, se donnent les moyens d’intégrer l’intérêt des populations auprès desquelles elles opèrent (Comités décisionnels ad hoc, assemblées générales de sociétaires, révision participative de leur charte, etc.) [8]. Après avoir été l’objet de privatisations [9] et/ou de rachats par des grands groupes privés au cours des trente dernières années, le secteur coopératif bancaire européen a vu sa taille fortement réduite, même s’il reste important dans certains pays comme l’Allemagne. Dans d’autres pays, la taille embryonnaire du secteur coopératif en fait une offre très peu accessible.
Et la spéculation ?
À partir du moment où des objectifs « extra financiers » forment l’ADN d’une banque, les autres composantes de l’offre bancaire en bénéficient : comptes courants, comptes épargnes, moyens de paiements, disponibilité du personnel, proximité des agences… et seront prestés différemment selon que la banque aura mis la priorité sur le profit ou sur les bénéfices sociétaux au sens large.
Par extension, la gestion des placements de la banque et de ses excédents de trésorerie suit les mêmes principes, et les purs paris sur les marchés financiers n’ont plus leur place étant donné leur apport nul et même négatif pour la société. Les banques éthiques et les banques coopératives se dotent donc souvent de politiques explicites en la matière et se concentrent sur les activités de base, sans verser dans les activités sur les marchés financiers.(...)
Comment s’y retrouver ?
Certaines organisations et associations proposent des informations sur les agissements des banques et sur ce qui se cache derrière leur offre, comme le Scan des banques [13].
D’autres nous aident à identifier les produits de placement véritablement « responsables » comme le label de la finance solidaire Financité-Fairfin en Belgique.
Mais finalement, la question fondamentale est de savoir si l’on peut influencer les décisions de banques qu’il nous est par ailleurs quasi impossible d’éviter. Les banques actionnariales ne laissent pas de place à une telle implication : l’actionnariat des grandes banques est généralement entre les mains d’investisseurs qui considèrent leurs actions comme des placements qui doivent rapporter, et leur gestion est verrouillée par ses dirigeants [14]. C’est donc à la fois la propriété et le contrôle sur les banques qu’il faut reconsidérer.
Conclusion
Les alternatives qui nous sont proposées aujourd’hui sont encore trop limitées pour être moteur de changement à elles seules, d’autant plus que la mal nommée « réglementation » bancaire et financière, par sa complexité, tend à favoriser les plus grandes structures. Elles nous montrent néanmoins qu’il est possible de faire de la banque autrement, et de produire des modèles de banques qui fonctionnent, qui résistent mieux aux crises, qui privilégient le financement de projets pertinents du point de vue environnemental et social, et qui ne mettent pas en danger tout le système. Un changement plus fondamental nécessitera de casser la dominance des grands groupes bancaires en en reprenant le contrôle, tant en terme de propriété que de structures décisionnelles. Une combinaison des modèles coopératifs et publics/socialisés, pour peu qu’ils évitent les collusions d’intérêts, et qu’ils puissent être indépendants du système bancaire dominant, paraissent être les meilleures voies à suivre. Les banques détenues par les États sont de ce point de vue un bon champ d’expérimentation : la propriété est acquise (mais systématiquement contestée [15]), reste à œuvrer au contrôle.