Ce n’est pas vrai, d’abord » : la réponse du président de la République française à un journaliste (1) suggérant en janvier 2015 que le train était plus écologique que l’autocar pour se rendre de Paris à Lyon illustre un état d’esprit nouveau. Le dénigrement des chemins de fer est à la mode dans les milieux dirigeants, malgré les qualités de sécurité et de salubrité de ce moyen de transport (2). M. Emmanuel Macron leur préfère les autocars et Mme Ségolène Royal les voitures électriques, tandis que M. François Hollande interpelle l’humanité sur l’impératif environnemental. Depuis 2012, les trains français voient l’ensemble de leur fréquentation baisser, et la France a perdu la première place dans l’Union européenne pour le nombre de kilomètres parcourus par habitant.
(...) En théorie du moins, le Nord est un eldorado pour le développement du rail et de son principal exploitant, la Société nationale des chemins de fer français (SNCF). Pourquoi n’est-ce pas le cas ? (...)
On incrimine généralement l’étalement urbain, qui éloigne le domicile des lieux d’activité. Mais l’insuffisance des transports ferroviaires régionaux compte aussi. Certes, une convention lie depuis 1978 la SNCF et la région Nord-Pas-de-Calais. Et, depuis 2002, cette dernière définit la politique de desserte en tant qu’autorité organisatrice de plein droit ; grâce aux investissements consentis, le voyageur bénéficie souvent d’un matériel roulant récent, et le trafic a augmenté de près de moitié entre 2002 et 2012. Il se tasse depuis, pour se concentrer autour de Lille. Le service régional à grande vitesse (TER-GV), qui relie les villes de la côte à Lille, constitue le fleuron de l’offre locale, mais est aussi le reflet de sa centralisation. Car les liaisons transversales (de Calais à Étaples - Le Touquet, par exemple) perdent des voyageurs. Enfin, le TER n’assure qu’une part très limitée des déplacements dans l’agglomération lilloise, environ 1 % en 2006 (derniers chiffres disponibles). Dans ce contexte, les élus régionaux aimeraient créer le Réseau Express du Grand Lille (REGL), un RER avec une gare souterraine à Lille-Flandres (4).
Mais cela suffirait-il ? M. Philippe Ménerault, directeur du département de géographie et d’aménagement de l’université Lille-I, prône une meilleure utilisation des voies ferrées existantes : de nombreux points d’arrêt dans l’agglomération sont médiocrement desservis, tel Pont-de-Bois, simple halte pourtant située à proximité du campus de Villeneuve-d’Ascq. La construction d’une gare à la jonction entre une ligne de TER et les deux lignes de métro (à la station Porte-des-Postes), explique M. Ménerault, soulagerait sensiblement la gare centrale de Lille-Flandres.
Mais ces réalisations n’empêcheraient pas une désarticulation plus fondamentale du réseau. Pour les voyageurs, ce dernier risque de se réduire à une juxtaposition d’« avions sur rail » (le TGV) et de trains de banlieue (le TER), sans aucun service intermédiaire du fait du déclin des trains Intercités. Ces lignes, qui formaient l’ossature du réseau avant l’apparition du TGV, furent de puissants outils d’aménagement du territoire. Elles connectaient les populations des métropoles et des villes moyennes. Leur disparition renforce la ségrégation territoriale. (...)
La SNCF a progressivement organisé ses services de grandes lignes autour du seul TGV. Or le trafic du parcours TGV Paris-Bruxelles, après des années de hausse, a baissé d’environ 4 % entre 2012 et 2014. Un scénario cauchemardesque pour les affaires de la SNCF s’ébauche : d’un côté, des trains classiques qu’elle a délibérément dévitalisés ; de l’autre, des lignes de TGV à leur tour rattrapées par la chute de la fréquentation. (...)
De l’automutilation à la vampirisation, il n’y a qu’un pas. L’entreprise propose désormais des services de voiture à domicile, de covoiturage, d’autocars réguliers, qui concurrencent ses propres trains. Elle recommande aux autorités régionales le remplacement des trains par des autocars, alors que l’expérience montre que ce type de substitution engendre des pertes de trafic. (...)
En diluant l’activité ferroviaire dans une offre plus globale de « mobilité » (6), la SNCF aligne sa politique sur le consensus pro-route qui règne parmi les milieux dirigeants. Le choix politique implicite consiste à réduire le réseau ferré aux LGV, à leurs prolongements et à quelques axes Intercités, fret ou régionaux à fort potentiel « spontané », avec comme alibi l’affichage de grands projets d’une utilité douteuse, comme la ligne à grande vitesse entre Lyon et Turin.
Le défi, pour la société civile, est de réinventer un avenir pour le rail, à l’encontre du déclin organisé par l’État et la SNCF.