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Philippe Meirieu : Redonner leur sens aux métiers de l’éducation
/Philippe Meirieu Professeur honoraire en sciences de l’éducation
Article mis en ligne le 21 mai 2022

Monsieur le Ministre,

Votre nomination est, à mes yeux, comme aux yeux de beaucoup, une belle surprise. Votre travail universitaire, vos engagements, vos prises de position sont, en effet, le gage d’un renouvellement important à la tête de l’Éducation nationale. Vous avez travaillé sur les discriminations et sur l’émancipation ; vous avez eu, à de nombreuses reprises, des paroles justes, sans concession et apaisantes à la fois, sur des questions de société essentielles ; vous incarnez la lutte pour l’égalité des droits dans ce qu’elle a de plus fondamental pour notre avenir… Ce sont là, pour les enseignantes et enseignants, comme pour tous les personnels de l’Éducation nationale et de l’Éducation populaire, des signes forts qui nous font espérer un vrai renouveau. (...)

Vous arrivez à la tête d’une institution malmenée et abîmée. Une institution que des réformes précipitées, effectuées sans véritable concertation, ont profondément déstabilisée. L’école maternelle, un héritage de Pauline Kergomard dont le monde entier enviait la solidité pédagogique, a vu ses objectifs éducatifs spécifiques, gages d’un accueil authentique de tous les enfants dans l’univers scolaire, profondément défigurés. (...)

Et la mise en place de Parcours Sup a condamné les lycéens, dans leur ensemble, a une orientation aussi aléatoire qu’injuste qui soumet leurs projets personnels à des algorithmes inconnus. Au total, Monsieur le Ministre, les inégalités se sont gravement accrues et la confiance dans le service public de l’éducation a été durablement ébranlée.

Mais je voudrais insister aujourd’hui, Monsieur le Ministre, au moment où vous prenez vos fonctions, sur la crise de recrutement majeure que vit notre pays. (...)

Je sais bien que certains caressent le secret espoir de remplacer une partie (quand ce n’est pas le tout) du travail des professeurs par le numérique, mais j’espère que, comme moi, vous ne voudrez pas vous y résoudre : vous savez que ce qui se joue dans la relation pédagogique est irréductible à un dressage par la machine, aussi sophistiquée et performante soit-elle. Vous savez que la songerie du learning analytics, au prétexte de « s’adapter » aux individus, les fige dans une hypothétique « nature » et définit leur avenir à partir de leur passé… essentialisation insupportable contre laquelle vous avez toujours lutté.

Aussi, la priorité, Monsieur le Ministre, avant toute nouvelle réforme de « tuyauterie », devrait être, je crois, de redonner aux métiers de l’éducation leur sens pour réengager nos jeunes à s’y consacrer. Cela passe évidemment par une véritable reconnaissance financière et sociale qui s’est trop fait attendre. Mais cela passe aussi par l’affirmation fondatrice de l’importance de leur mission. Et, parler de « mission » n’est pas aujourd’hui anecdotique, ce n’est pas simplement ergoter sur un point de vocabulaire… c’est opérer un renversement radical par rapport à une politique qui, ces cinq dernières années, a considéré leur métier comme un simple ensemble de tâches au service d’« usagers ». Tout le contraire d’un engagement citoyen au service du bien commun. (...)

Il vous revient donc, je crois – et c’est une tâche magnifique –, de rendre au métier d’éducateur sa signification politique, de dire aux professeurs comme à tous ceux qui encadrent notre jeunesse, qu’ils sont porteurs de valeurs et que ces valeurs ne sont ni celles de la surenchère de la consommation, ni celles du séparatisme social, ni celles de l’arrivisme individualiste… ce sont celles pour lesquelles vous vous êtes vous-même battu : l’émancipation et la solidarité. (...)

prendre soin des enseignants et des personnels de l’éducation. Ce sera là votre tâche. Ils n’attendent de vous aucune flatterie démagogique, mais une relation franche et claire pour fixer ensemble le cap de ces prochaines années. Ils attendent que vous vous penchiez très vite sur leur formation initiale, aujourd’hui si gravement compromise, et de leur formation continue, complètement sinistrée. Ils attendent que vous travailliez avec eux sur les finalités sans les enchaîner à des modalités infantilisantes. Bref, ils attendent de leur ministre qu’il construise avec eux un service public d’éducation capable de préparer nos enfants à la société qui vient. (...)