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Les obsèques de demain : finirons-nous tous en compost ?
#obsèques #rites_funéraires
Article mis en ligne le 1er novembre 2022
dernière modification le 31 octobre 2022

Cimetières écolos, inhumation sans cercueil, cérémonies laïques… L’après-Covid voit fleurir de nouveaux rites funéraires. Plus verts, moins solennels. Le début d’une révolution ?

Le Covid aura servi de révélateur. « Pendant l’épidémie, nous avons éprouvé dans nos corps une évidence presque oubliée : nous sommes des peuples de rituels. Sans eux, nous restons coincés avec nos morts », observe la psychanalyste Edileuza Gallet, fondatrice de la coopérative funéraire de Bordeaux.

L’image du tandem prêtre et croque-mort sinistre était déjà érodée : la part des Français souhaitant un hommage religieux lors de leurs funérailles était passée de 63 % en 2005 à 50 % en 2019 (1) . Mais « supprimez une certaine forme de rite, et il réapparaît sous une autre forme », écrivait l’anthropologue britannique Mary Douglas en 1966, dans De la souillure (éd. Maspero, 1971).

La crise sanitaire a cristallisé ce besoin de renouvellement. Combien de cérémonies bâclées, vécues sans main tendue et par écrans interposés, ont abouti à des deuils traumatiques ? (...)

Une révolution ? « Je n’aime pas ce mot, mais il y a un mouvement vers une réappropriation de la mort, répond Edileuza Gallet. Avant, les gens, tétanisés, n’osaient pas investir ce passage. Désormais, ils s’autorisent à agir. » (...)

Depuis une décennie, la relève des célébrants funéraires laïques se forme à l’étranger. Pour donner plus de sens à son métier, Noémie Robert, titulaire d’un diplôme français de maîtresse de cérémonie (axé logistique, commercial et législatif), est partie à Genève. Sandra Widmer Joly, célébrante de funérailles indépendante, y propose depuis 2017 des sessions de douze jours, pour appréhender le deuil à l’aide de l’écriture et de l’oralité.

« Ce n’est pas l’usine, on apprend ce métier avec le cœur et l’âme, explique-t-elle. Distribuer les livres du défunt, manger ensemble du chocolat ou des madeleines à l’orange dont on partage la recette… Ce sont des gestes symboliques, qui servent à se séparer. À la fin, les gens se disent : “J’ai bien dit au revoir, je peux commencer mon deuil.” » Depuis 2019, elle a reçu soixante demandes depuis l’Hexagone.

De retour en France, Noémie Robert conte désormais la vie des défunts, afin de mieux réparer les vivants. (...)

« Au xxe siècle, faute de religieux, la société s’est beaucoup déchargée sur les pompes funèbres, qui indiquent la norme à suivre, pointe Manon Moncoq, anthropologue du funéraire. L’apparition d’officiants laïques, qui n’appartiennent pas au secteur funéraire tel que la législation actuelle les classe, montre que les choses changent. Ces métiers alternatifs effraient encore un peu car le cadre n’est pas très formel, mais tôt ou tard, ils se développeront. » (...)

Également à rebours de l’habituelle austérité funèbre, des « coopératives funéraires » – comme celle, à Bordeaux, d’Edileuza Gallet – éclosent en France, quarante ans après le Canada. La première a ouvert à Nantes en 2016, six autres ont suivi et vingt-trois sont en construction. Leur credo : sortir des logiques marchandes des pompes funèbres classiques pour se concentrer sur les besoins des endeuillés.

À Rennes, où des soleils jaunes en papier, des instruments de musique et des tissus fleuris ont remplacé vitrines froides et gerbes conventionnelles, deux cents cérémonies ont été célébrées depuis l’ouverture, en 2020. Dont 70 % civiles (environ un tiers à l’échelle nationale), parfois organisées dans une salle de spectacles ou sous un chapiteau.

La journaliste Sarah Dumont confirme que cette tendance s’installe crescendo. Le site Happy End, qu’elle a créé en 2018, conjugue documentation autour de la mort, annuaire de professionnels du funéraire et rencontres entre endeuillés. (...)

Également à rebours de l’habituelle austérité funèbre, des « coopératives funéraires » – comme celle, à Bordeaux, d’Edileuza Gallet – éclosent en France, quarante ans après le Canada. La première a ouvert à Nantes en 2016, six autres ont suivi et vingt-trois sont en construction. Leur credo : sortir des logiques marchandes des pompes funèbres classiques pour se concentrer sur les besoins des endeuillés.

À Rennes, où des soleils jaunes en papier, des instruments de musique et des tissus fleuris ont remplacé vitrines froides et gerbes conventionnelles, deux cents cérémonies ont été célébrées depuis l’ouverture, en 2020. Dont 70 % civiles (environ un tiers à l’échelle nationale), parfois organisées dans une salle de spectacles ou sous un chapiteau.

La journaliste Sarah Dumont confirme que cette tendance s’installe crescendo. Le site Happy End, qu’elle a créé en 2018, conjugue documentation autour de la mort, annuaire de professionnels du funéraire et rencontres entre endeuillés. (...)

“Il faut réfléchir sérieusement à de nouveaux modes de sépulture, mais il existe d’importants freins culturels, législatifs et opérationnels.” Martin Julier-Costes, socio-anthropologue (...)

La communauté du funéraire alternatif mise aussi sur des pratiques plus vertes, à l’instar des cimetières naturels, qui se multiplient. Précurseur, le carré écolo du cimetière de Souché, à Niort, accepte les défunts inhumés en pleine terre (sans caveau), dans des cercueils en bois non traité provenant de filières françaises. Les soins de conservation du corps au formol, polluants, y sont fortement déconseillés ; la pierre tombale et les fleurs en plastique, interdites. (...)

De façon générale, les Français accordent d’ailleurs de plus en plus d’importance à l’écologie lors des obsèques (...)

« Presque tout reste à inventer, lance Martin Julier-Costes, socio-anthropologue de la mort. Il faut réfléchir sérieusement à de nouveaux modes de sépulture, mais il existe d’importants freins culturels, législatifs et opérationnels. » (...)

Sommes-nous par exemple prêts à transformer nos morts en compost, comme le font déjà certains Américains ? Dans l’État de Washington, la designer Katrina Spade, pionnière mondiale, a convaincu les pouvoirs publics de légaliser l’humusation, ce processus naturel de décomposition du corps. Sous un hangar, dans des caissons à roulettes ressemblant à des vaisseaux futuristes, les corps se décomposent sous l’action de l’azote dégagé par du broyat de bois et de la luzerne. L’humus est ensuite rendu à la famille, qui peut l’inhumer. Le Colorado, l’Oregon, le Vermont et la Californie ont emboîté le pas.

En France, deux associations sont nées en 2021, dont Humo Sapiens, qui préfère le terme « humification ». « Ce procédé permet à l’humain de perpétuer la vie après sa mort, souligne son président, Pierre Berneur. Il s’inscrit dans la révolution culturelle actuelle, où la croyance d’un humain “maître et possesseur de la nature” s’affaiblit, au profit de celle d’un humain membre de la communauté du vivant dont il dépend. » Un sondage d’OpinionWay d’octobre 2022, commandé par l’association, montre que 46 % des Français seraient prêts à recourir à l’humusation. (...)

Deux autres techniques de gestion des dépouilles ont été inventées dans le monde. « La promession  », mise au point par la biologiste suédoise Susanne Wiigh-Mäsak (qu’aucun pays ne pratique), consiste à congeler le corps dans de l’azote liquide puis à le briser en morceaux sur une table vibrante. Et « l’aquamation », choisie par le Sud-Africain Desmond Tutu, Prix Nobel de la paix, décédé en 2021 : la crémation à l’aide d’une solution alcaline (qui dissout le corps) à la place du feu, procédé légalisé aux États-Unis, au Canada, en Australie et aux Pays-Bas.

« Dans l’histoire de l’humanité, hormis les inhumations célestes pratiquées en Inde, en Chine ou au Népal [le corps, exposé à l’air libre, est mangé par les vautours, ndlr], il n’y a rien eu d’autre que la crémation et l’inhumation, remarque Manon Moncoq. L’invention de nouveaux modes de sépulture, plus écologiques, est une révolution. L’inhumation naturelle existe dans les rites musulman ou juif, mais sans l’idée de cycle naturel. Transformer le corps en compost, c’est du jamais-vu. » (...)

Le secteur des obsèques français, écrasé par deux groupes privés (PFG et Funecap), devra forcément se renouveler face aux défis qui s’annoncent : le papy-boom fera passer le nombre de morts par an de six cent cinquante mille aujourd’hui à huit cent mille en 2050.

« La pression de la mortalité sera telle qu’il sera nécessaire de penser ces questions collectivement, donc politiquement, en termes de foncier, d’infrastructure, de personnel, conclut Martin Julier-Costes. Mais aussi de rites, de spiritualité, de religion, d’éthique. » La révolution funéraire ne fait que commencer.