Voici une incroyable histoire de pollution, qui a pour décor le Parc national des Calanques, l’un des plus beaux paysages de Méditerranée.
Pour comprendre, il faut longer, comme un fil rouge, un tuyau de 50 km de long. Un tuyau qui part d’une usine, quelque part dans l’arrière-pays marseillais, et qui déverse en mer depuis 50 ans, avec la bénédiction des autorités préfectorales, ses déchets industriels. De 1966 à fin 2015, plusieurs dizaines de millions de m3 de résidus toxiques, les fameuses “boues rouges”, ont ainsi été rejetées dans la méditerranée au large de la ville de Cassis.
Notre enquête commence à bord d’un bateau, à quelques miles au large du port de La Ciotat, sur un point GPS très précis.
Daniel Hili, Guillaume Le Testu et Gérard Carrodano sont pêcheurs. Ils nous attendent juste au-dessus du canyon sous-marin de Cassidaigne et veulent témoigner du désastre écologique qui a lieu sous la surface.
« On a posé un jeu de filets de pêche. On va le relever pour vous montrer dans quel état remonte le matériel dans un endroit où avant on pêchait très bien. On est venu spécialement pour vous faire voir pourquoi on ne pêche plus » lance Gérard. (...)
Le rouge c’est d’abord la couleur de la bauxite, un minerai extrait dans le sud de la France jusque dans les années 1980 avant que les gisements ne s’épuisent. Une roche qui tient son nom du village des Baux-de-Provence à côté duquel elle a été découverte en 1821. La Bauxite sert principalement à fabriquer de l’alumine. Il faut en moyenne, suivant les procédés, deux tonnes de bauxite pour faire une tonne d’alumine. L’alumine ressemble à de la poudre blanche, et le monde en consomme de plus en plus. Elle est essentielle à la fabrication de l’aluminium. Résistant à de très hautes températures, c’est aussi un composant indispensable des céramiques et produits réfractaires que l’on utilise pour les écrans de nos téléphones portables, et dans de nombreux domaines comme l’aéronautique, le nucléaire, et l’armement. (...)
Face aux milliers de tonnes traitées chaque jour et faute de place, Pechiney prend la décision en 1963 d’envoyer ces boues dans la mer malgré l’opposition catégorique de personnalités scientifiques comme Alain Bombard qui alertent déjà sur les dégâts environnementaux à long terme. (...)
L’entreprise fait même appel au célèbre commandant Cousteau, qui se range à l’avis général selon lequel les boues déversées tomberont au fond du canyon marin par gravité et y resteront piégées.
Selon Olivier Dubuquoy, militant écologiste et universitaire, « ils ont fait du green washing » [rendre propre un procédé sale par une communication marketing environnementale vertueuse]. « Ils ont utilisé l’image d’une personnalité publique très appréciée des Français pour faire passer en force un projet industriel qui consistait tout simplement à tuer une partie de la Méditerranée. »
Et Olivier d’ajouter : « Une pollution qui ne se voit pas est une pollution qui n’existe pas pour les gens. La difficulté est de rentre visible cette pollution puisqu’elle est principalement sous l’eau. » (...)
Aujourd’hui, les collectifs environnementaux estiment la masse totale des “boues rouges” déversées depuis 50 ans à plus de 30 millions de tonnes. Alors, nous avons fait quelques calculs d’après les analyses rendues publiques en décembre 2014 dans le rapport final du BRGM (bureau de recherches géologiques et minières). À raison de 6 milligrammes d’arsenic par litre, de 270 000 litres déversés en mer par heure, près de 800 tonnes d’arsenic ont déjà été déversées en mer.
En 1993 une étude d’impact réalisée par le groupe Péchiney sur le milieu marin est enfin réalisée. À la demande de l’industriel, elle reste sous embargo pendant 10 ans. Cette étude confidentielle que nous avons pu consulter révèle pourtant que les “boues rouges” s’étendent déjà sur près de 230 km2, et qu’elles sont toxiques pour le milieu marin et les poissons qu’elles contaminent.
Au fil des ans, les différents propriétaires de l’usine ont toujours obtenu les autorisations nécessaires pour rejeter leurs résidus en mer. (...)
Aujourd’hui Altéo stocke l’immense majorité de ses résidus à terre. C’est un indéniable progrès, mais des résidus “aqueux” sont toujours évacués vers la méditerranée.
Le problème a été déplacé à terre. (...)