
Nous sommes sur une des meilleures terres d’Europe, explique M. Emmanuel Vandamme, qui exploite 244 hectares sur le plateau de Saclay, un territoire à cheval sur les départements de l’Essonne et des Yvelines. Le sol, quasi vierge de tous gravats, agit comme une éponge. Vous ne verrez jamais un tuyau d’arrosage sur le plateau, même en été. » Pourtant, faisant fi de la qualité des sols, les pouvoirs publics exproprient et bétonnent. « La première verrue qui a annoncé l’aménagement intensif, c’est l’installation du centre de recherche de Danone, en 2002 », relate l’agriculteur. Puis sont arrivés Thales, Électricité de France (EDF), les laboratoires Servier, Kraft Foods ou encore Total, ainsi qu’une multitude d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche.
Les pouvoirs publics rêvent de transformer ce territoire en une « Silicon Valley française ». Dès 2006, sous la présidence de M. Jacques Chirac, une opération d’intérêt national est actée, qui donnera en 2009 à l’État la maîtrise de l’ensemble du processus d’aménagement sur un immense territoire de 7 700 hectares répartis sur 27 communes. La manœuvre permet de marginaliser les élus locaux et les habitants réfractaires. Élu président de la République, M. Nicolas Sarkozy reprend le flambeau. En 2008, il annonce le lancement d’un projet de cluster scientifique. Ce concept importé des États-Unis désigne un regroupement d’entreprises et d’établissements d’un même secteur, ce qui susciterait, prétend-on, une émulation favorisant la création et l’innovation.
L’idée ? Rassembler soixante mille étudiants et onze mille chercheurs. Le but ? « Fédérer les établissements d’enseignement supérieur et de recherche (1) » afin de figurer en bonne place dans le classement de Shanghaï. Vingt-trois grandes écoles — Polytechnique, CentraleSupélec (école d’ingénieurs), École normale supérieure de Cachan, École des hautes études commerciales (HEC)… — et universités — Paris-Orsay, Versailles - Saint-Quentin-en-Yvelines… — ont accepté de déménager à Saclay ou d’y inaugurer des locaux. Le personnel de ces établissements n’a pas été consulté. Beaucoup s’interrogent quant à l’effet réel de ce type de regroupement sur la production scientifique et s’inquiètent de ce projet visant à rassembler 20 % de la recherche française. « On veut tout centraliser, mais les conséquences sont désastreuses pour les autres territoires, qui se retrouvent démunis de ces pôles de recherche et d’emploi », observe Mme Claudine Parayre, membre du collectif Saclay citoyen. (...)
La Cour des comptes émet elle aussi de sérieuses réserves. Elle a estimé en 2017 que « l’État s’est lancé dans le projet très ambitieux de Paris-Saclay sans avoir au préalable défini clairement les moyens permettant de le réaliser (3) ». Cette critique vise en particulier l’épineuse question de la desserte. Déclarée d’utilité publique en mars 2017, la ligne 18 du métro doit relier Nanterre à Orly en passant par Versailles et le plateau de Saclay. Après l’abandon de la candidature française à l’Exposition universelle de 2025, la mise en service, initialement prévue pour 2024, a été reportée à 2027.
Pour autant, le débat n’est pas clos (...)
Selon Girardin, le pôle de recherche scientifique d’envergure internationale vanté par les pouvoirs publics sert de cheval de Troie à l’urbanisation et à la vaste opération immobilière qui se déroule au beau milieu de ce paysage agricole. « Il est facile de fédérer contre un projet comme le centre commercial EuropaCity à Gonesse. Mais c’est beaucoup plus difficile de mobiliser contre un projet qui prétend agir pour la science… » L’argument de l’innovation, du rayonnement de la France à l’étranger éclipse les nombreux risques que ce projet fait peser sur l’environnement et l’agriculture. Afin d’apaiser les opposants, l’État a instauré en 2010 une zone de protection naturelle, agricole et forestière (ZPNAF). Mais celle-ci ne concerne qu’une petite portion du plateau, et ses frontières sont très critiquées. (...)
Derrière les promesses de création d’emplois et de rayonnement international, les entreprises du bâtiment et des travaux publics (BTP) se partagent d’ores et déjà de juteux contrats et se délectent à l’idée de garnir l’abord des futures gares de logements flambant neufs (lire « Le Grand Paris ou le pactole pour les bétonneurs »). À Saclay comme dans le Grand Paris, ce n’est plus le besoin qui conditionne le projet, mais le projet qui conditionne le besoin.