Les satellites sont de plus en plus nombreux au-dessus de nos têtes et gênent maintenant les observations des astronomes, alerte l’auteur de cette tribune. Qui se demande s’il est utile de favoriser la diffusion des séries Netflix et du porno jusque dans les déserts de sable.
À la fin d’une journée dans notre monde capitaliste, après avoir été agressé.e par des publicités, confronté.e, de gré ou de force, à une organisation absurde du travail, et surveillé.e par des flics et des caméras, il arrive qu’on lève la tête et que l’on se perde quelque temps dans la contemplation du ciel étoilé – pour peu que l’on se trouve à un endroit où la pollution lumineuse ne l’empêche pas.
On regarde alors tout ce qui brille et scintille gratuitement depuis toujours. C’est joli, c’est infini, ça fait du bien. Enfin, jusqu’à ce que l’œil soit attiré par un point très lumineux qui se déplace d’un bout à l’autre du ciel, suivi par d’autres points, espacés de quelques secondes : soixante satellites Starlink viennent de traverser notre rêverie. (...)
En ce moment, nous avons au-dessus de nos têtes plus de 4.000 satellites artificiels, dont une grosse moitié est en activité. Météo, télécommunications, GPS, outils scientifiques et militaires, le nombre de ces objets augmente de manière exponentielle depuis les années 2010. Starlink, le projet de réseau internet très haut débit à couverture mondiale développé par l’entreprise SpaceX du milliardaire Elon Musk [1], prévoit d’expédier dans l’espace jusqu’à 42.000 nouvelles ferrailles technologiques dans les années qui viennent. (...)
D’autres multinationales et leur cortège de start-up innovantes se pressent pour imiter cette infâme bêtise (...)
Contrairement aux satellites lancés par les différentes agences spatiales, objets uniques et coûteux, dont le développement prend des années, les satellites de Starlink sont des choses jetables, produits industriels de masse, peu chers et relativement faciles à fabriquer, comme les stupides smartphones auxquels ils sont dédiés.
Ce qui rend particulièrement visibles ces centaines d’antennes relais à internet, c’est qu’elles reflètent les rayons du soleil. À la suite de l’indignation des astronomes amateurs comme professionnels, dont certaines observations sont déjà compromises par Starlink, Elon Musk a promis qu’on verrait moins ses produits une fois l’orbite définitive atteinte, et que son entreprise allait réduire leur impact visuel en les peignant en noir… A priori, le résultat n’est pas flagrant, et 42.000 points qui se déplacent en même temps, quand bien même leur luminosité serait réduite, restent une modification incroyable et définitive du ciel nocturne — il faut environ deux siècles à un satellite en orbite basse pour retomber sur Terre. (...)
Pour les promoteurs de ces constellations de parasites visuels, il s’agit d’apporter aux deux tiers de l’humanité « privés » d’internet une connexion haut débit, que ce soit au fin fond des forêts primaires, dans les déserts de sable ou de glace comme au milieu des océans. Sachant qu’en 2018 60 % du trafic d’internet était consacré à la vidéo en ligne – dont 34 % concernaient la VOD, soit la vidéo à la demande (les fameuses séries décérébrantes genre Netflix) et 27 % le porno (en immense majorité, sexiste et dégradant pour les femmes) –, on voit le bienfait que l’espèce humaine dans son ensemble pourrait retirer d’un accès universel au web. On en conviendra bien sûr, il serait injuste que seules les sociétés occidentales technologiquement avancées puissent s’aliéner dans le divertissement et la culture de masse. Pour Mark Zuckerberg, le PDG de Facebook, « la connectivité est un droit humain de base ». Certainement plus que la liberté de faire autre chose que consommer. Ou de regarder les étoiles. (...)