Dans le sud des Alpes françaises, le service public ferroviaire se dégrade : manque d’entretien des voies, ligne menacée, gares fermées, trains remplacés par des bus… Des usagers, cheminots et élus se mobilisent pour changer la donne. Mais c’est la politique globale des transports qu’il faut transformer.
Grand défenseur de l’accès par le train à son département, Joël Giraud, député (LREM) des Hautes-Alpes, prend paradoxalement l’avion jusqu’à Turin quand il veut revenir de Paris à son domicile à L’Argentière-la-Bessée, non loin de Briançon. De ce bout des Hautes-Alpes, accéder ou revenir de la capitale par le train est devenu une gageure. Sauf à emprunter le TGV en gare italienne d’Oulx pour 4 h 42 de trajet (sur le Paris-Turin), plus 1 h 15 de voiture. Sinon, compter de 6 h 12 à 8 h 30 de trajet, avec changement à Valence ou Marseille.
Le train de nuit, « qui permet de ne pas perdre une journée », tel que le défend le Collectif de l’étoile ferroviaire de Veynes, propose le trajet en un peu plus de 10 h 30. Mais ce dernier subit des retards incessants. Alors, « vous venez de me convaincre de ce que je croyais encore impossible il y a un an : ne plus emprunter le train de nuit Paris-Briançon », écrivait Joël Giraud à Guillaume Pépy, le PDG de la SNCF, en juillet 2017. Et l’élu de conclure sa lettre ouverte : « Je ne sais à ce jeu qui va gagner, mais je sais qui va perdre, un territoire de plus en plus enclavé, les Hautes-Alpes. » (...)
Comme dans de nombreux territoires ruraux et montagneux, le train est devenu le parent pauvre des investissements de l’État et des collectivités. Pourtant, dans les Hautes-Alpes, ces liaisons jusqu’à Aix-en-Provence, Marseille ou Grenoble sont essentielles pour l’accès aux hôpitaux, aux universités ou à l’emploi. Elles le sont tout autant pour le tourisme, secteur déterminant de l’économie locale. Avec 20 millions de nuitées par an, le département (140.000 habitants) a la plus forte capacité d’accueil du pays (...)
N’oublions pas les bénéfices écologiques du train, la lutte contre le réchauffement climatique au premier chef : « Le développement de transports multimodes en sera un axe essentiel. Il nécessite une armature ferroviaire fiable, performante et efficace proposant une alternative crédible à la voiture individuelle », dit Gilles Marcel, président des associations Nos TER Paca et France nature environnement Paca. (...)
Dans les Hautes-Alpes, les embouteillages sont récurrents lors des chassés-croisés provoqués par les sports d’hiver. Les jours de neige riment avec galère sur la route. Aggravée si les cols vers l’Isère sont fermés à cause des conditions météo. (...)
« Le matériel roulant est insuffisant. On se retrouve fréquemment en sous-capacité à cause du grand nombre de rames en maintenance », précise un cadre de la ligne. (...)
S’ils ne choisissent pas la voiture, les Haut-Alpins font face à un casse-tête pour leurs déplacements. Il en va de même pour leurs voisins des Alpes-de-Haute-Provence, de la vallée de la Drôme et du sud de l’Isère, des territoires traversés par les lignes de l’étoile de Veynes (...)
Autrefois, la région connaissait un autre engouement pour le train. De 1938 à 1972, la SNCF proposait un train quotidien de Lyon-Perrache à Marseille-Saint-Charles via Grenoble et Veynes. De 1959 à 1989, elle offrait même une liaison estivale Genève-Grenoble-Veynes-Digne, « l’Alpazur ». La correspondance avec le train des Chemins de fer de Provence pour Nice y était assurée. Digne, la préfecture des Alpes-de-Haute-Provence, était également reliée à Marseille par le Val-de-Durance. Mais la liaison ferroviaire de Digne-les-Bains au Val-de-Durance a été remplacée par un service d’autocars dès 1972. Depuis la fin de cet âge d’or, « le service public du transport ferroviaire de l’étoile subit une dégradation au fil du temps par manque d’investissements et d’entretien », constate le syndicaliste Philippe Tellier. (...)
« Depuis des décennies, on investit tout sur la route. Les voies ferrées en France ont 35 ans en moyenne. Elles sont deux fois plus âgées qu’en Allemagne. On a besoin de 3 milliards d’euros par an pour que le réseau cesse de se dégrader. Il faut faire du report modal sur l’existant et cesser de financer les LGV », conclut Anne Lassman-Trappier, de France nature environnement (FNE), « seule voix de la société civile » au conseil d’administration de SNCF Réseau. La récente sortie médiatique de Guillaume Pépy ne la contredit pas. Le 2 janvier, le PDG de la SNCF a reconnu que les pagailles des gares parisiennes en décembre étaient « largement dues à un retard sur les investissements dans le réseau classique ».
Contactés, les vice-présidents aux transports d’Aura et de Paca n’ont pas répondu répondre aux questions de Reporterre.