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Libération
« La guerre devient un télétravail pour employés de bureau »
Article mis en ligne le 26 mai 2013
dernière modification le 22 mai 2013

Dans « Théorie du drone », le philosophe Grégoire Chamayou se penche sur les questionnements juridiques et moraux soulevés par une arme qui confère une immunité physique unilatérale.

Comment un philosophe en vient-il à s’intéresser aux drones ?

Le drone, c’est un « objet violent non identifié », qui met en crise les catégories de pensée traditionnelles. Un opérateur appuie sur un bouton en Virginie, et quelqu’un meurt au Pakistan. Lorsqu’elle est écartelée entre des points aussi distants, où a lieu l’action de tuer ? Cela produit des crises d’intelligibilité dont la philosophie doit rendre compte. Ce livre, Théorie du drone, est la suite du précédent, les Chasses à l’homme : le drone armé est l’emblème des chasses à l’homme militarisées contemporaines. Et certains philosophes travaillent, aux Etats-Unis et en Israël, main dans la main avec les militaires pour développer ce que j’appelle une « nécroéthique » visant à justifier les assassinats ciblés. Il y a donc urgence à répliquer. Quand l’éthique est enrôlée dans l’effort de guerre, la philosophie devient un champ de bataille. (...)

Le drone apparaît comme l’arme du lâche, celui qui refuse de s’exposer. Il ne requiert aucun courage, il désactive le combat. Cela provoque des crises profondes dans les valeurs guerrières. Or les militaires ont besoin de justifications. C’est là qu’interviennent les « éthiciens militaires » : leurs discours servent à abaisser les coûts réputationnels associés à l’emploi d’une arme perçue comme odieuse. Et ceci quitte à mettre le sens des mots sur la tête, puisqu’ils affirment que le drone - engin sans homme à son bord - est la plus humaine des armes… (...)

En imposant une terreur indiscriminée, les drones, inaptes à « gagner les cœurs et les esprits », alimentent paradoxalement la menace que l’on prétend éradiquer. Ce que rétorquent les partisans de la contre-insurrection par les airs, c’est qu’il suffit de « tondre » régulièrement : dès que des têtes repoussent, on les tue. On promet une guerre sans défaite, mais ce sera aussi une guerre sans victoire… (...)

Les opérateurs cloisonnent, ils tuent la journée et rentrent à la maison le soir. La guerre devient un télétravail, accompli par des employés de bureau, très loin des images à la Top Gun. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que les premières contestations du drone aient été le fait de pilotes de l’Air Force. Ils refusaient la déqualification de leur travail, mais ils luttaient aussi pour le maintien de leur prestige viril… (...)