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L’« intelligence des plantes »
Article mis en ligne le 5 mai 2019
dernière modification le 4 mai 2019

Comment gérer la dissonance cognitive consistant à éprouver de l’empathie pour les animaux et à les manger, souvent après qu’ils ont été tués dans d’atroces souffrances ? Parmi les arguments couramment entendus, figure celui-ci, d’une mauvaise foi redoutable : « les plantes, elles aussi, souffrent ». Ce « cri de la carotte » est censé clouer le bec définitivement aux anti-spécistes. Yves Bonnardel s’attache, dans le texte qui suit, à réfuter cet argument.

Tout comme nous, la plupart des autres animaux perçoivent des sensations, connaissent des émotions et des sentiments, éprouvent des désirs, font preuve de volonté. Ce qu’ils ressentent leur importe. C’est cela qu’on appelle la sentience, voire la conscience.

Le terme mentaphobie a été forgé dès 1976 par le père de l’éthologie cognitive Donald R. Griffin pour désigner la propension, dans notre civilisation humaniste, à nier la cognition animale, à nier le fait que nombre de non-humains eux aussi connaissent des états mentaux. La reconnaissance de la subjectivité d’autrui constitue un enjeu crucial : lorsqu’on veut nuire à quelqu’un, on se persuade qu’il est méchant ou « inférieur », ou qu’on ne lui nuit pas véritablement parce qu’il ne ressent pas grand chose. Au contraire, la prise en compte de ses intérêts nécessite évidemment de reconnaître que sa vie peut se passer bien ou mal et qu’elle lui importe.

Le négationnisme de la conscience animale emprunte des voies variées, qui peuvent parfois paraître paradoxales. (...)

autant la question de la subjectivité des animaux suscite encore de grandes réticences (il y a quinze ans, elle était souvent explicitement niée), autant l’hypothèse extrêmement improbable d’une conscience des plantes constitue un fantasme récurrent. Alors que la plupart des chercheurs et vulgarisateurs en cognition animale manifestent une grande prudence dans leurs assertions, les scientifiques et les essayistes qui parlent de neurobiologie ou de cognition végétales, d’intelligence des plantes, etc., ne brillent pas par leurs précautions méthodologiques : ils ne s’embarrassent pas de rigueur pour avancer que les plantes communiquent, font preuve de stratégie, etc. (...)

Au final, ils ne fournissent ni argumentaire convaincant ni preuve aucune, mais leurs formulations sont reprises avec empressement par les médias ; dernièrement, une revue de philosophie avançait ainsi que « les plantes pensent, apprennent et sont capables de communiquer ».

Certes, on découvre que les « comportements » des végétaux (et même des bactéries) sont beaucoup plus complexes qu’on ne l’imaginait. Cela ne nous donne aucune raison pour autant de penser qu’ils sont sentients, et a fortiori solidaires, aimants, ou que sais-je. L’évolution darwinienne a vu se mettre en place des processus biologiques qui entraînent une souplesse d’adaptation à des conditions très variées. De même que notre corps réalise à tout instant des prouesses sans que nous en ayons même conscience, de même les organismes végétaux « réagissent »-ils à leur environnement de manières qui peuvent être très sophistiquées. (...)

Nous utilisons en permanence à tort des termes impliquant une « agentivité » pour décrire des processus. Ainsi parle-t-on aujourd’hui de l’intelligence, de la mémoire, de la communication ou des stratégies des systèmes (informatiques, par exemple) ou des plantes, etc. Cela revient à « décrire un thermostat comme « décidant » de chauffer la maison quand la température tombe en dessous d’un certain seuil. » (...)