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Reporterre
L’incompréhensible soutien de Hulot à la très polluante papeterie de Tarascon
Article mis en ligne le 17 mars 2018
dernière modification le 16 mars 2018

L’usine de pâte à papier Fibre excellence à Tarascon (Bouches-du-Rhône) rejette en toute impunité ses polluants dans l’atmosphère et dans l’eau, au vu et au su des autorités. Pourtant, Nicolas Hulot a décidé de soutenir le projet de production d’électricité avec du bois-énergie de cette entreprise.

Au bout de deux heures passées à quelques centaines de mètres de l’usine Fibre excellence, qui fabrique de la pâte à papier à Tarascon (Bouches-du-Rhône), la gorge gratte, les yeux et la peau sont irrités. Arboriculture, maraîchage et viticulture font le paysage de cette berge du Rhône située entre Avignon et Arles, à quelques encablures des parcs régionaux de Camargue et des Alpilles. Depuis 1951 se sont multipliées les cheminées industrielles, qui recrachent leurs fumées nuit et jour.

Dans ce périmètre se trouvent l’école privée du Petit-Castelet et ses 200 élèves. Les trois enfants de Laurence Caillieret y sont scolarisés. « Mon grand, qui a sept ans, a souvent une forte toux. D’autres parents disent que leurs enfants souffrent d’asthme, de maux de tête » (...)

L’entreprise conteste systématiquement la redevance de l’Agence de l’eau pour « pollution non domestique »

Le site, classé Seveso 2, est propriété du géant indonésien Asia Pulp & Paper (APP). La firme a été pointée du doigt par l’émission de France 2, Cash Investigation, pour sa responsabilité dans les gigantesques feux de forêt et la déforestation en Indonésie. À Tarascon, elle transforme plus d’un million de tonnes de bois en 450.000 tonnes de pâte à papier par an. Une production à l’origine de pollutions extrêmement graves. Avant que les services de l’État ne l’attestent, il a fallu la mobilisation des riverains et d’associations environnementales, réunis au sein du collectif Halte à la pollution de Fibre excellence. (...)

Le 2 août 2016, la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) est venue faire un contrôle inopiné. Parmi les résultats, le niveau d’émission de poussières de la chaudière à écorce est de 2.700 mg/Nm3, quand les mesures faites par l’industriel annoncent 400 mg/Nm3. Soit un dépassement 27 fois supérieur à la norme (100 mg/Nm3) imposée en 2010 par arrêté préfectoral. « L’absence d’éléments de votre part sur l’origine de ce mauvais fonctionnement […] et l’absence de plans d’action pour y remédier est inquiétante », écrit le contrôleur de la Dreal. Les analyses montrent également des dépassements de seuil 14 fois supérieurs pour les poussières, 12 fois supérieurs pour le cadmium, 6 fois supérieurs pour les métaux lourds et 3 fois supérieurs pour les gaz NOx.

Depuis le contrôle de la Dreal, Air Paca, l’organisme régional agréé de surveillance de la pollution atmosphérique, a installé des capteurs au voisinage de la papeterie. Celui installé à l’école du Petit-Castelet indique un taux de pollution aux particules de moins de 10 micromètres (PM10) équivalent en moyenne — régulièrement supérieur en pointe — aux grands centres-villes du département. (...)

Des polluants auxquels il faut ajouter les dioxines, furanes, PCB, HAP et autre benzène. L’eau — celle des nappes phréatiques et du Rhône — est également polluée par des rejets de métaux lourds. Depuis 2013, l’entreprise conteste systématiquement la redevance de l’Agence de l’eau pour « pollution non domestique ». Les sommes non perçues s’élèvent à 16 millions d’euros. (...)

Le 4 novembre 2017, un incendie s’est déclaré dans le silo à bois de Fibre excellence. 1.000 tonnes de copeaux sont parties en fumée. 2009, 2012, 2016… des gigantesques incendies de ce genre se produisent régulièrement, posant une question évidente de sécurité. (...)

L’ensemble de la situation, reconnue par les services de l’État, reste impunie. Pourtant, les arrêtés préfectoraux de mise en conformité s’amoncellent depuis huit ans. L’Ader a déposé plainte au pénal en février 2017 pour « mise en danger de la vie d’autrui, pollution atmosphérique et pollution des eaux superficielles et souterraines ». Le dossier est toujours en attente d’instruction. Le collectif de lutte contre la pollution de Fibre Excellence Tarascon, dont l’Ader fait partie, alerte le ministère de la Transition écologique et solidaire par une pétition.

Des projets de production d’énergie renouvelable qui « seront soutenus par un complément de rémunération garanti pendant 20 ans »
Rien de tout cela n’a retenu l’État de choisir ce site industriel, en février 2018, pour l’aider à développer la production d’électricité par la combustion de bois-énergie, au nom de la transition énergétique. Pollutions et non-conformité, les services de l’État savent tout. Pourquoi diable Nicolas Hulot soutient-il un tel projet au sein de cette usine ?

« Notre pays doit monter en puissance sur le développement des énergies renouvelables pour répondre aux objectifs fixés dans le Plan climat. Les projets annoncés aujourd’hui répondent à cette ambition de soutenir des filières créatrices d’emplois », dit le ministre de la Transition écologique et solidaire dans un communiqué daté du 28 février. Il adoube ainsi 11 projets de biomasse partout en France qui « seront soutenues par un complément de rémunération garanti pendant 20 ans ».

Avec sa turbine de 25 MW, le projet de Tarascon est de loin le plus important. Depuis décembre 2009, la papeterie brûle déjà ses déchets pour une puissance de 12 MW. Sous la nouvelle considération du ministère, l’entreprise a trois ans pour changer la turbine et améliorer le rendement énergétique, qui doit être supérieur à 82 %. Cette mutation entraînera-t-elle la mise aux normes ? Rien n’est moins sûr. « On garde le même outil de production, sans remplacement des chaudières défectueuses », précise Philippe Chansigaud, de l’Ader. (...)

Ordonnées par la préfecture, des travaux de mise en conformité devraient avoir lieu sur la chaudière à liqueur noire (qui traite les produits chimiques) avant le 30 mars et sur les fours à chaux avant le 30 avril. Si les délais ne sont pas respectés, la préfecture prendra-t-elle ce coup-ci des sanctions ?

« Préoccupation majeure pour l’emploi »

Michel Chpilevsky, le sous-préfet d’Arles, a été désigné pour gérer le dossier. Auprès de France 3, il justifie son manque de coercition par l’argument de l’emploi (...)

« On nous fait un chantage à l’emploi, mais à ce compte-là il faudrait intégrer le risque de perte d’emplois dans l’agriculture et le tourisme, qui sont touchés par les pollutions », considère Xavier Body. (...)

À Tarascon comme à Fos-sur-Mer, le combat des associations et des citoyens sera encore long. Avantage des Tarasconnais par rapport aux Fosséens : les risques qui pèsent sur leur santé sont reconnus par la préfecture. Mais, dans les deux cas, elle n’apporte pas de réponse adéquate aux dégâts sur l’environnement et à la sécurité sanitaire des populations. (...)

Contactés, le maire de Tarascon, le directeur de Fibre excellence et le ministère de la Transition écologique et solidaire n’ont pas donné suite aux sollicitations de Reporterre. Le sous-préfet d’Arles a fait connaître son indisponibilité à répondre dans les temps impartis à la publication de cet article.