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Mediapart
Jean Messiha, la haine sur fonds publics
#extremedroite #haine #fonctionnaires
Article mis en ligne le 20 juin 2023

Le polémiste d’extrême droite, qui distille sa haine sur les plateaux télévisés et a conseillé Marine Le Pen puis Éric Zemmour, a cumulé près de cinq ans de salaire du ministère des armées, depuis son engagement en politique en 2017, pour un emploi dont personne n’est en mesure de décrire le contenu. Le ministère se refuse à tout commentaire.

Jean Messiha n’aime pas quand il y a trop de fonctionnaires : la France est « écrasée sous la bureaucratie ! », regrette-t-il. Il n’aime pas non plus les « fonctionnaires qui ont profité du statut pour se lancer sans risque en politique » et veulent ensuite « le liquider ».

Le polémiste d’extrême droite n’est manifestement pas à un paradoxe près. Car il est lui-même un haut fonctionnaire qui s’est lancé en politique en profitant de son statut. Mediapart révèle comment cet énarque de 52 ans a continué d’être payé par l’État – en l’occurrence le ministère des armées – alors qu’il courait les plateaux de télévision pour diffuser les idées de Marine Le Pen puis d’Éric Zemmour, deux candidats auprès desquels il s’est engagé.

Questionné, le ministère des armées nous a fait savoir qu’il n’avait « pas de commentaire à faire sur le sujet ». De son côté, Jean Messiha nous a indiqué, par l’intermédiaire de son avocate, Laurence Bedossa, qu’il ne répondrait pas, dénonçant des questions « un peu particulières, un peu erronées, tendancieuses ». (...)

c’est sur les plateaux de télévision que ce haut fonctionnaire inconnu du grand public a émergé. À partir de la campagne présidentielle de 2017, Jean Messiha écume les plateaux du groupe Canal+, en particulier les talk-shows bolloréens de CNews et de C8 (les émissions de Cyril Hanouna).

À l’époque, il est invité en tant que nouveau coordinateur du projet présidentiel de Marine Le Pen et porte-parole des « Horaces », un collectif d’experts alimentant la candidate en notes et propositions. La présidente du Front national l’a mis en avant comme sa nouvelle prise de guerre chez les hauts fonctionnaires. Messiha a su négocier sa place : pendant la campagne, il a touché, en tant que conseiller spécial de la candidate, le plus haut salaire, soit 12 700 euros net par mois. Après la campagne, il intègre le bureau national du parti, en tant que délégué aux études et argumentaires. (...)

Fin 2020, il quitte le Rassemblement national, au prétexte d’une ligne pas assez radicale sur l’islam, puis devient, pendant la campagne présidentielle, le porte-parole du candidat Éric Zemmour et son prestataire : il est rémunéré 32 700 euros pour ses interventions à la télévision, la coordination des déplacements des « grands orateurs » et sa participation aux événements du parti Reconquête.

Après l’échec du candidat au premier tour, il annonce qu’il quitte Reconquête pour reprendre ses activités au sein de l’Institut Apollon, un think tank d’extrême droite qu’il préside. Mais aussi pour retrouver son rond de serviette chez CNews. (...)

« Affecté et rémunéré » par le ministère des armées

Diplômé de Sciences Po et de l’ENA, le quinquagénaire, né en Égypte, est entré en service au ministère des armées en avril 2005 en tant qu’administrateur civil. En 2014, il est nommé « adjoint au sous-directeur du pilotage opérationnel » au ministère de la défense. Jusqu’ici, rien d’anormal. Il y a officiellement poursuivi sa carrière de haut fonctionnaire jusqu’à la fin de l’année 2016, lorsqu’il est devenu le monsieur « programme présidentiel » de Marine Le Pen.

Il décide alors, logiquement, de se mettre en disponibilité de la fonction publique. C’est d’ailleurs ce qu’il déclare début 2017 à l’Agence France-Presse (AFP), qui lui consacre un portrait. Mais selon nos informations, dès le printemps 2017, il redevient un salarié du ministère des armées. Il le restera en continu jusqu’en novembre 2021 ; il enchaîne depuis périodes de travail et périodes de disponibilité. Pendant la campagne d’Éric Zemmour, il s’est ainsi mis en disponibilité, avant de reprendre le travail quelques mois en 2022, puis de se mettre à nouveau en disponibilité à l’automne 2022.

Au total, depuis son engagement en politique en 2017, Jean Messiha a touché près de cinq ans de salaire du ministère des armées – lequel a donc continué de le rémunérer alors même qu’il écumait les plateaux de télévision pour distiller ses idées. (...)

Bureau « vide »

En interne au ministère, la situation du haut fonctionnaire fait régulièrement l’objet d’interrogations.

Le polémiste y est décrit comme quelqu’un de peu, voire pas présent sur son lieu de travail ces dernières années. À l’époque où Jean Messiha était rattaché au service parisien de l’administration centrale, en 2019-2020, il disposait d’un bureau sur le site de Balard (dans le sud-ouest de Paris) « qui était vide », comme a pu le constater une source syndicale, qui qualifie le fonctionnaire de « fantôme ». (...)

En 2019, le haut fonctionnaire avait, selon Le Monde, facturé des prestations et des notes plagiées à la campagne des européennes pour 16 200 euros, montant non remboursé par l’État. Sur les treize notes fournies, neuf avaient été copiées, pour la plupart intégralement, de ressources déjà en ligne (articles, blogs, Wikipédia, etc.). C’est la découverte de ces pratiques par la direction du Rassemblement national qui l’aurait poussé vers la sortie, avait affirmé au quotidien Jordan Bardella. (...)

Sa situation pose deux questions : celle du cumul d’emplois et celle du devoir de réserve des fonctionnaires. (...)

les termes injurieux ou outranciers sont particulièrement prohibés, précise l’administration française. Le polémiste est pourtant coutumier des propos outranciers, sur les réseaux sociaux comme sur les plateaux. Ceux avec lesquels il n’est pas d’accord sont régulièrement taxés de « connard[s] » ou de « débile[s] ».

En 2021, il qualifie, sur Twitter, le préfet des Yvelines d’« ami » des « islamistes » et l’associe à la « Collaboration », ce qui lui vaut une condamnation pour injure, confirmée en appel. En juin 2020 déjà, il traitait de « nazislamiste fiché S » le maire de Goussainville Abdelaziz Hamida (qui a gagné son procès en diffamation contre L’Express, à l’origine des « révélations » sur son « islamisme radical ») et de « collabos » et de « traîtres » les partis politiques locaux n’ayant pas aligné de candidatures contre lui. (...)

Quand il n’attaque pas une personne en particulier, Jean Messiha s’en prend plus généralement à « la racaille étrangère qui se déverse chaque année en France » (2 juin 2023), la « lèpre islamiste » (12 février 2021), la « gangrène islamiste » (30 mai 2018) ou encore les « féministes moisies [...] qui la ramènent en permanence sur des sujets à la con » (11 juin 2023).

Le polémiste ne se prive pas, par ailleurs, de prendre publiquement la parole sur des sujets relevant du domaine de compétence du ministère auquel il est rattaché, le ministère des armées. (...)

Questionné sur la compatibilité des activités de Jean Messiha avec le devoir de réserve qui incombe à ses fonctionnaires, le ministère des armées a refusé de nous répondre.

Détail cocasse : en 2017, le polémiste avait cosigné une tribune dans Valeurs actuelles dans laquelle il s’indignait que des ambassadeurs prennent position contre Marine Le Pen, leur rappelant alors « les principes du devoir de réserve et de la neutralité de l’administration ». Jean Messiha n’est manifestement pas à un paradoxe près.