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France Inter
Insalubrité, manque de nourriture, violences : le calvaire des enfants du camp de réfugiés de Lesbos
Article mis en ligne le 14 octobre 2019

Après un afflux de réfugiés cet été sur les îles grecques, 14 000 personnes se trouvent à Lesbos dans le camp de Moria, prévu pour 3 100 maximum. Tout autour, un bidonville de tentes, de détritus et de boue ne cesse de grossir. Une jungle où vivent près de 6 000 enfants dont plus de 1 000 mineurs non accompagnés.

Des enfants partout, qui crient, pleurent et jouent au bord de la route, dans les poubelles, la boue, avec l’odeur des eaux usées qui débordent. La plupart ont moins de 12 ans. Nombreux sont les nourrissons qui survivent et naissent aussi, parfois, dans ce dédale de tentes, installées à la va-vite dans les champs d’oliviers en pente qui bordent l’ancien terrain militaire de Moria, sur l’île grecque de Lesbos.

Contrairement à 2015, où l’afflux de réfugiés se comptait par milliers chaque jour, les arrivées se comptent actuellement en centaines par jour. 10 000 depuis le début de l’été, soit trois fois plus que l’année dernière. À Moria, ce sont, pour l’essentiel, des femmes et des enfants, de plus en plus jeunes et de plus en plus nombreux. Ils restent plusieurs mois, parfois plus d’une année à survivre dans ces conditions indignes.

Aujourd’hui, officiellement, près de 6 000 enfants sont bloqués dans ce camp. Parmi eux, on compte plus d’un millier de mineurs non accompagnés. La plupart de ces enfants en provenance d’Afghanistan ont moins de 15 ans. Ils ont souvent été séparés de leurs parents à la frontière avec l’Iran et vivent sans aucune protection, dormant dans des tentes collectives avec des adultes qu’ils ne connaissent pas. À même le sol, aussi parfois. Ils sont la proie de tous les trafics, de toutes les maltraitances. (...)

La vie dans cette jungle a de quoi traumatiser un enfant. (...)

"Il y a des bagarres entre les communautés syriennes et afghanes. Les hommes boivent et deviennent violents. L’autre jour, ils ont voulu rentrer dans notre tente mais heureusement mon père les a sortis. Je n’ose même imaginer comment ça se passe pour tous les enfants ici qui n’ont pas leurs parents avec eux et qui traînent", raconte Parwana, une jeune afghane de 15 ans.

Trop de monde, pas assez d’investissements publics. Les associations humanitaires prennent donc le relais pour accueillir les réfugiés. Ainsi, pour éviter l’expulsion de la jungle, une ONG hollandaise Movement on the Ground a loué les champs d’oliviers autour du camp de Moria et tente d’organiser des logements sous des tentes plus solides et plus grandes. L’ONG Oxfam conseille les réfugiés dans leur langue d’origine (63% du camp est occupé par les Afghans, 22% par des Syriens) sur le droit d’asile européen.
Désordres psychiques

Le besoin de médecin est le besoin le plus cruel, à Moria. Médecin sans Frontières a donc installé un dispensaire pédiatrique spécialisé dans la santé mentale des enfants. Car il y a les maladies dues aux mauvaises conditions d’hygiène et de logement mais surtout il y a les traumatismes causés ou ravivés par ce camp. De plus en plus d’enfants arrivent au dispensaire de MSF en pleine régression et avec des désordres psychiques liés à leur condition de vie. Plus longtemps ils restent à Moria, plus sévères sont leurs dysfonctionnements. (...)

À 8 ans, certains enfants du camp de Moria remettent des couches, ne parlent plus, ne jouent plus et évitent de regarder les autres. Il y a ceux qui refusent d’ouvrir les yeux le matin et restent dans un coin de la tente toute la journée. À Moria, il n’y a pas d’endroit pour jouer, pas d’école. (...)

Angela Metaldi est pédopsychologue pour MSF :

Chaque jour, des parents désespérés nous amènent des enfants de moins de 10 ans qui s’arrachent les cheveux, se frappent, se jettent la tête contre les murs, se scarifient. Ce sont des enfants qui ne veulent plus vivre, qui n’ont plus d’espoir. Il faut les sortir d’ici. Tout de suite. (...)

Les plus mal lotis sont encore les mineurs non accompagnés. Pour eux, une ONG grecque, Metadrasi, tente de les protéger mais avec trop peu de moyens. Cinq tuteurs et éducateurs spécialisés protègent 40 enfants chacun. Soient 200 enfants pris en charge sur les 1 060 que compte officiellement le camp. (...)

"C’est absurde, nous sommes obligés de choisir les enfants que nous allons protéger. Souvent ce sont les plus vulnérables, les filles ou les enfants déjà victimes de trafic sexuel, les moins de 15 ans et aussi ceux qui ont de la famille en Europe, afin d’obtenir la réunification familiale. Mais on est loin du compte. Beaucoup d’enfants sont abandonnés dans ce camp de l’enfer", explique Sevi Saridaki, tutrice et éducatrice spécialisée au sein de l’ONG Metadrasi.

De nombreux enfants non accompagnés attendent de rejoindre leur famille ailleurs en Europe mais la plupart des États membres font barrage via des procédures de plus en plus complexes. C’est le cas de la France, où les documents ne suffisent plus pour attester d’un lien de famille : il faut également des tests ADN, sur décision d’un tribunal. Résultat, de nombreux enfants sont coincés des mois dans des camps où ils sont en danger en permanence. (...)

Normalement, les familles avec enfants, et particulièrement les mineurs non accompagnés doivent être transférés dans des structures spécialisées sur le continent dans l’attente de ces procédures. Mais depuis 2017 et la fin des relocalisations vers les autres pays membres de l’UE, les structures d’accueil de la Grèce sont saturées et ne peuvent pas accueillir plus de personnes vulnérables. Toutes les procédures se font donc depuis les camps des îles grecques, comme celui de Moria, qui mathématiquement sont vite saturés.

Or, c’est de plus en plus long. Car à Lesbos, comme sur les autres îles grecques, le gouvernement, aidé pour ces procédures par l’Union européenne, dit ne pas avoir les moyens d’accueillir ces réfugiés. Le Haut commissariat pour les réfugiés (HCR) de l’ONU est lui aussi débordé. (...)

Résultat, tout le système du hotspot conçu pour l’enregistrement des réfugiés est saturé. À Moria, les prochains rendez-vous de demandes d’asile sont ainsi prévus en 2021, certains vont jusqu’en 2024. (...)

Pendant ce délai, les réfugiés n’ont pas le droit de quitter l’île, ils ne peuvent pas travailler et n’ont nulle part où loger en dehors du camp. Tout ce système tourne en cercle vicieux : chaque jour 200 à 300 nouveaux arrivés affluent vers Moria avec, parmi eux, des femmes enceintes et 50% d’enfants.

"Ce qu’il faut, c’est reprendre la relocalisation des personnes à travers l’Europe. Évacuer en priorité vers des centres spécialisés ailleurs en Europe, en France par exemple, tous les enfants non accompagnés. Il y en a 5 500 en Grèce. Pour chaque pays de l’UE, ça demande de prendre en charge 200 enfants ! Est-ce si compliqué ?" interroge Laura Pappa, directrice de l’ONG grecque Metadrasi

"C’est une question de justice élémentaire. Chaque enfant a le droit d’être un enfant et Moria, ce n’est pas un endroit pour un enfant", conclut Angela Modarelli, psychologue clinicienne au dispensaire pédiatrique de Médecins sans Frontière.