
Dans quelles conditions travaille-t-on lorsque l’on est journaliste dans les territoires palestiniens ?
Le terrain est assez singulier. Il n’est pas accessible à tous les journalistes, il y a une forme de filtrage effectué par les autorités israéliennes, avec notamment la nécessaire obtention d’une carte de presse. Si l’on travaille pour une publication installée, renommée, cela s’obtient sans trop de problèmes. Dans le cas contraire, on ne l’obtient pas toujours. Or, par exemple, il est impossible de se rendre à Gaza sans carte de presse. Un second filtrage est effectué par Israël : c’est la censure militaire. Les journalistes à qui une carte est attribuée doivent s’engager à respecter la censure et à ne pas porter atteinte à la sécurité de l’Etat d’Israël. Enfin, la fragmentation géographique des territoires palestiniens est, de facto, un filtrage. Toutes les zones ne sont pas toujours accessibles. C’est ainsi que lors des bombardements israéliens sur Gaza à l’hiver 2008-2009, l’accès était fermé aux journalistes.
Le territoire palestinien est exigu, ce qui crée en réalité des conditions favorables au travail de journaliste. On peut se rendre dans un lieu donné, mener son enquête, rentrer le soir même et rédiger son article. Par ailleurs, cela permet de faire des micro-enquêtes, des micro-reportages, de s’intéresser de manière précise au quotidien des Palestiniens. Parfois j’ai eu l’impression de faire des articles de type Presse quotidienne régionale, à ceci près que le moindre de ces micro-reportages met toujours en jeu des questions politiques. Si l’on a envie de bien faire son travail, on peut donc proposer aux lecteurs des sujets originaux, variés, qui peuvent rendre palpable l’expérience quotidienne des Palestiniens et expliquer, beaucoup mieux que bien des sujets sur les épisodes diplomatiques tellement répétitifs et stériles, les enjeux de la situation (...)
On est confronté à une surabondance de sources en réalité. Il y a bien sûr la presse, notamment la presse israélienne, avec des journalistes qui font très bien leur travail, par exemple au quotidien Haaretz. Il y a aussi une abondance d’interlocuteurs, notamment du côté palestinien, avec une réelle disponibilité. Ils veulent parler de leur situation, la faire connaître. Ils estiment que c’est dans leur intérêt de parler aux médias. Par exemple il est relativement facile de parler, à Gaza, à un ministre du Hamas. Il y a aussi les sources venues de la société civile, avec les nombreuses ONG, tant du côté palestinien que du côté israélien, ou des différentes agences de l’ONU, très présentes sur le territoire. Ces ONG et ces agences produisent en permanence des rapports, des enquêtes, qui représentent une matière première considérable.
L’important, c’est la gestion de ces sources. Le fait qu’il y ait surabondance peut en effet s’avérer être un piège. Premièrement, ces sources ne sont pas toutes désintéressées, elles peuvent avoir un agenda politique, il faut donc en être conscient et les utiliser à bon escient. Mais il y a un autre danger : on constate une tendance, dans la communauté des journalistes, à considérer que les sources israéliennes et les sources palestiniennes sont par définition partisanes. La tentation est donc de se rabattre sur ce qui apparaît comme un « juste milieu » : les sources venues de la communauté internationale, notamment les rapports de l’ONU, de la Banque Mondiale, du FMI, etc. Ce n’est pas mauvais en soi, certains de ces rapports sont très fournis, très documentés, mais il y a tout de même des précautions à prendre.
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Que la Banque Mondiale s’érige donc en arbitre des élégances palestiniennes, qu’elle distribue les bons et les mauvais points sur la corruption, est assez déplacé, puisque ce sont des politiques dans lesquelles elle est pleinement investie qu’elle prétend juger. (...)
J’ai rencontré la personne qui a enquêté et fait ce rapport, et il s’avère qu’elle a démissionné. En effet, son rapport a été en partie réécrit. C’est la philosophie même de son rapport qui a été remaniée (...)
On peut tout à fait dire qu’Israël construit un mur, mais si l’on oublie de préciser que ce mur est construit dans les territoires palestiniens et non pas entre Israël et la Cisjordanie, on passe à côté de la réalité de ce mur. Si on oublie de préciser, à propos des portes qui ont aménagées par Israël dans le mur en expliquant qu’il ne s’agissait donc pas d’une annexion car les agriculteurs dont les champs se situent de l’autre côté du mur pourraient le franchir, qu’en réalité ces portes demeurent, la plupart du temps, fermées, ou que les soldats sensés les ouvrir arrivent régulièrement en retard, de nouveau on rate la réalité.
Il y a bien des mots qui sont piégés, mais pas nécessairement ceux auxquels on pense. (...)