
La plupart des mesures qu’Édouard Philippe a annoncées « pour améliorer la politique d’immigration, d’asile et d’intégration en France » relèvent en réalité de la lutte contre l’immigration irrégulière.
Elles reflètent aussi l’ambition d’Emmanuel Macron de peser sur la politique européenne de l’asile. Pour convaincre ses partenaires européens d’« accueillir mieux », il considère qu’il faut être « plus efficace pour reconduire ceux qui n’ont pas vocation à rester en Europe ».
Mais que faut-il exporter du modèle français en Europe ? Sa complexité, qui en fait le premier pays producteur d’obligations à quitter le territoire en Europe ? Ou bien sa fermeture à l’immigration économique ? (...)
On pense souvent que l’immigration irrégulière désigne simplement les étrangers arrivés sans autorisation sur le territoire. Dans les médias et les lieux de pouvoir, on s’étonne alors que le taux d’expulsion ne soit pas plus élevé. En réalité, les étrangers qui vivent régulièrement en France pendant des années peuvent devenir des sans-papiers.
Pour le comprendre, prenons l’exemple récemment médiatisé de Geneviève, cette doctorante en situation régulière qui a failli être expulsée pour avoir trop travaillé.
Après un Master de droit en France, Geneviève travaille pour financer son diplôme de doctorat (BAC+8). Mais les étudiants, s’ils sont étrangers, n’ont pas le droit de travailler plus de 60 % de la durée légale de travail. S’ils dépassent ce seuil, ils risquent le non-renouvellement, voire le retrait, de leur carte de séjour et deviennent des sans-papiers.
Geneviève a travaillé quelques heures de plus (65 %) et la préfecture lui a adressé une obligation de quitter le territoire (OQTF) et même une interdiction de revenir en France (IRTF). La préfecture a ainsi grossi les rangs de l’immigration irrégulière dont on déplore le taux d’expulsion trop bas.
Ce cas n’est pas isolé. (...)
une OQTF sur cinq (22 %) délivrées dans toute l’Union européenne est le fruit du travail d’un fonctionnaire français. (...)
une enquête du Ministère de l’Intérieur a permis d’estimer que les personnes arrivées légalement et devenues sans-papiers étaient bien plus nombreuses (63 %) que celles arrivées sans-papiers (37 %). Leur durée de présence en France avant la réadmission au séjour était aussi plus longue que celle des personnes arrivées sans-papiers. Les hommes sont en France depuis 8 ans en moyenne, contre 6 ans pour les femmes, avant d’obtenir à nouveau des papiers.
L’immigration irrégulière : la fabriquer pour la combattre
La lutte contre l’immigration irrégulière gagnerait en efficacité si on cherchait à comprendre comment la France est devenue premier pays producteur d’obligations à quitter le territoire en Europe.
Le premier facteur est la complexité de la loi. L’opinion publique, même éduquée, ne la comprend plus. (...)
L’effet est presque mécanique : chaque nouveau critère transforme des étrangers présents de façon tout à fait régulière, en sans-papiers.
Un second facteur est le niveau de risque associé au simple renouvellement du titre de séjour. Aucune erreur n’est permise car la loi prévoit qu’un refus de renouveler un permis de séjour soit accompagné d’une obligation à quitter le territoire. Comme si cela ne suffisait pas, depuis 2016, les OQTF sont assorties, dans de nombreux des cas, d’une interdiction de retour en France.
Sans comprendre que la création de l’immigration irrégulière est largement endogène, l’actuel gouvernement érige cette lutte en politique internationale. Il propose même de détourner une partie de l’aide au développement au profit de la France. (...)
Travailler, un risque de devenir sans-papiers
L’une des mesures annoncées par le gouvernement est l’ouverture (au débat) de l’immigration de travail. Il s’agirait de mettre à jour la liste des métiers sous tension.
Pour comprendre la timidité de cette mesure, il faut savoir que la carte de séjour « salarié » est la plus difficile à obtenir en France. L’employeur qui déciderait de recruter un étranger doit d’abord déposer une demande d’autorisation de travail.
Le code du travail prévoit un dossier complexe (...)
L’employeur n’a pas droit à l’erreur car le travailleur étranger court le risque de devenir sans-papiers. Si l’administration n’a pas répondu dans les deux mois, l’autorisation de travail est refusée. Dans ce cas, l’autorisation de séjour sera, elle aussi, refusée et le travailleur recevra une obligation à quitter le territoire. (...)
Si la proposition du gouvernement va dans le bon sens, elle ne dispensera ni les employeurs de la demande d’autorisation de travail, ni les candidats du risque de devenir des sans-papiers. Les entreprises qui auront trouvé un candidat devront attendre plusieurs mois l’accord de plusieurs administrations pour pouvoir l’embaucher. Si elles n’ont pas le choix, elles attendront et finiront par accroître l’immigration de travail au-delà de 10 % de l’immigration totale. (...)
Si la France produit le plus grand nombre d’obligations à quitter le territoire, elle n’attire en revanche qu’environ 3 % de l’immigration économique en l’Europe. (...)
Les mesures du gouvernement ne rendront pas la France plus ouverte à l’immigration économique que les pays du Groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, Slovaquie, République tchèque), réputés hostiles à l’immigration.
Pour « regarder en face » la politique migratoire, ne faut-il pas déjà cesser de parler « d’accueil » ? Cette métaphore détonne dans un système qui cherche à expulser le plus grand nombre d’étrangers.