
Les 34 ans de l’accident de Tchernobyl interviennent « dans le contexte d’une crise sanitaire inédite, qui rappelle que des phénomènes que l’on se refusait à envisager peuvent devenir réalité », expliquent les auteurs de cette tribune. Qui s’interrogent : en cas d’accident nucléaire, observerions-nous les mêmes phénomènes que pendant la crise du Covid-19 ?
Interrogeons-nous : ne risquons-nous pas de faire l’expérience de phénomènes similaires, voire pires, en cas d’accident de type Tchernobyl en France ? Cette éventualité ne relève pas de la spéculation : l’Autorité de sûreté nucléaire elle-même répète que ce risque est possible — son site invite même les associations, entreprises et élu·es locaux à examiner le rôle qu’ils seraient appelés à endosser dans cette pièce où ils n’ont jamais demandé à jouer. Tentons la comparaison. (...)
Si on ne peut comparer un panache radioactif à une maladie contagieuse, l’expérience de Tchernobyl montre que les retombées radioactives, à l’instar du Covid-19, peuvent se diffuser très rapidement, de manière invisible, en ignorant les frontières. Toutefois, si l’on peut fermer des frontières et instaurer des mesures de distanciation sociale et de confinement pour stopper la propagation d’un virus, nul ne peut empêcher le déploiement d’un nuage chargé de radionucléides. En cas d’accident nucléaire, les personnes habitant à proximité de la centrale pourraient être appelées à se confiner pour une durée donnée (et sans autorisation de se promener pendant une heure !) ; mais cela n’empêcherait pas la contamination durable de territoires entiers.
Affronter une épidémie comme le Covid-19 constitue déjà un défi considérable pour la France (la situation étant aggravée par le manque de moyens pour l’hôpital). Mais malgré l’existence de « Plans particuliers d’intervention » et d’un « Comité Directeur Post-Accidentel », le pays ne serait pas mieux préparé à faire face à un accident nucléaire. (...)
L’institut Biosphère a simulé les conséquences d’un accident nucléaire à la centrale du Bugey, près de Lyon : selon les conditions météorologiques, les retombées pourraient traverser la France d’est en ouest, traverser l’Allemagne, voire atteindre les côtes du Maghreb !
Sous-estimation de la pandémie, port du masque présenté comme « inutile » : à plusieurs reprises, depuis le début de la crise du Covid-19, le gouvernement n’a pas semblé prendre la mesure de la gravité de la situation. De nombreux « experts » fréquentant les plateaux de télévision lui ont emboîté le pas. Les controverses sanitaires se déchaînent sur les réseaux sociaux. Qu’en serait-il en cas d’accident nucléaire ? Les autorités nieraient-elles aussi la gravité de la situation ? Si les témoignages de soignant.es sur le Covid-19 circulent, en cas de crise nucléaire, il est à craindre que l’information disponible soit drastiquement verrouillée. Le manque de transparence actuelle de l’industrie nucléaire — qui peut tarder jusqu’à une semaine pour communiquer sur un rejet radioactif, comme cela a été le cas à Golfech en 2016 — n’incite pas à l’optimisme. (...)
Poursuite du travail dans des secteurs non essentiels, reprise des cours au risque de transformer les écoles en clusters pour permettre le retour au travail des parents : concernant le Covid-19, plusieurs décisions semblent faire primer l’économie sur la santé publique. En cas d’accident nucléaire, nous risquons d’assister au même phénomène, surtout à moyen et long terme. Le combat contre ce virus est une question de mois ou d’années. Les conséquences d’un accident nucléaire, elles, perdurent pendant des siècles. (...)
Enfin, avec la crise du Covid-19, des millions de personnes se retrouvent en première ligne, à devoir faire face la boule au ventre et mal équipées : personnel soignant, du nettoyage, de la grande distribution... Et en cas d’accident nucléaire ? Là aussi, un nombre important de personnes se retrouveraient en première ligne : pompiers, salarié·es d’EDF... mais surtout employé·es de la sous-traitance nucléaire. À l’instar du personnel soignant, ces derniers dénoncent depuis des années une course à la rentabilité et une dégradation de leurs conditions de travail, qui ne leur permet plus d’effectuer correctement les tâches nécessaires à la sûreté et les mettent eux-mêmes en danger.
À l’approche de l’anniversaire de Tchernobyl, souvenons-nous des personnes qui furent alors en première ligne, ces centaines de milliers de liquidateurs qui sont intervenus sur le réacteur éventré pour éviter que la catastrophe n’empire encore plus, et dont beaucoup ont payé leur dévouement de leur santé, voire de leur vie.
La crise du Covid-19 exige un changement de modèle, pour dépasser les logiques de rentabilité et se recentrer sur l’essentiel et le soin aux personnes. Dans un monde plus incertain, nous ne pouvons pas nous permettre de vivre en plus une crise nucléaire. Là aussi, un recentrage s’impose, pour passer à un système énergétique plus sobre, sûr, résilient, local et renouvelable. Changeons de voie et investissons pour une transition énergétique digne de ce nom plutôt que dans le post-accidentel.